our enherber ses parcelles viticoles, « aujourd’hui, les freins sont plus psychologiques, et esthétiques, que techniques » pose Loreleï Cazenave, technicienne vignoble à la Chambre d’Agriculture de Gironde (CA33), ce 21 février au lycée viticole de Montagne. Prêchant des vignerons convaincus, pour ne pas dire convertis, lors des journées techniques vigne et vin bio, la chercheuse a présenté les premiers résultats du projet de recherche Vertigo (financé par l’interprofession des vins de Bordeaux depuis 2013, en cours jusqu’en 2020).
Se penchant sur la gestion de la couverture végétale dans l’espace et le temps, l’étude suit douze parcelles en Gironde et en Dordogne : sept conventionnels, quatre bio et une conversion. Avec trente pieds répartis sur trois inter-rangs par modalités : témoin des pratiques du vigneron et essais adaptant des pratiques alternatives. Soit une mise en place d’engrais verts hivernaux (avec des semis dépendant des sols), une gestion extensive des couverts (avec un travail mécanique peu fréquent, avec des tontes peu rases), des apports d’amendements organiques restructurants (jusqu’à 30 tonnes par hectare pour les sols dégradés) et le déploiement d’alternatives aux herbicides sous le rang (avec le travail du sol).
Pour illustrer les effets de ces pratiques, Loreleï Cazenave a présenté les performances mesurées sur deux parcelles de 2014 a 2018. Le premier vignoble suivi est situé en appellation Blaye Côtes de Bordeaux, il s’agit d’une parcelle bio où le semis a été adapté au sol argilo-calcaire (moutarde), à son faible rendement (pois et féverole) et son déficit en matière organique (chiendent rampant, puis avoine). L’enherbement est entretenu avec un passage de lames interceps (quatre fois par an) associé à une tondeuse (deux fois par an), puis détruit au broyeur à marteaux. En termes de résultats, ces pratiques ont conduit à une augmentation significative du rendement. Si la modalité témoin reste stable (avec 800 grammes de raisins par ceps en moyenne), les rangs cultivés selon les pratiques alternatives les dépassent (passant de 600 g à plus d’un kilos entre 2014 et 2018).
L’autre vignoble présenté par Loreleï Cazenave se situe sur la commune de Naujan, en appellation Bordeaux rouge. Conventionnelle, cette parcelle a un fort historique d’herbicides sous le rang (avec une problématique d’inversion de flore). Le semis y a été adapté au sol argileux limono-calcaire (radis chinois), à sa faible vigueur (trèfles) et son déficit en matière organique (avoine). L’enherbement a été tondu avec des interceps à déplacement hydraulique (deux fois par an) , puis détruit au broyeur à marteaux. Alors que les pieds témoins affichent les premières années (2015 et 2016) un rendement nettement supérieur à ceux en pratiques alternatives (respectivement 3,9 et 3,2 kg/pied en 2016), la tendance s’inverse, avec une augmentation significative pour les pratiques alternatives en 2018 (1,3 et 1,5 kg/pied en 2018). Sur cette parcelle, la vigueur se rééquilibre également, avec des écarts se réduisant. Pour les deux parcelles, les sols apparaissent plus actifs et structurés.


« Se passer des herbicides, c’est possible mais cela demande une transition progressive » résume Loreleï Cazenave, qui souligne qu’il n’y a pas de solution universelle ou toute faite pour réussir à se passer de glyphosate. « Les agrosystèmes sont complexes : on n’est plus dans la viticulture d’intrants, mais de l’interaction biologique » renchérit Maxime Christen, consultant viticole indépendant à Bordeaux, pour qui « la gestion des sols est une évolution indispensable pour la transition écologique ».
Concrètement, en termes de choix d’implantation des couverts*, « les bonnes questions à se poser sont la situation de la parcelle, le type de sol, la diminution de la vigueur souhaitée (ou supportable), les objectifs quantitatifs (le rendement) et qualitatifs (le profil du vin) » pose Éric Maille, technicien viticole pour AgroBio Périgord. Pour l’expert de l’enherbement, la stratégie de semis doit se réfléchir par îlots de parcelles homogènes : « il n’y a pas aberration d’avoir 8 à 10 mélanges différents sur un domaine selon sa diversité des sols ». Ces questionnements au cas par cas se retrouve pour toutes les pratiques d’entretiens du sol. Par exemple pour la tonte, où le maintien du couvert doit être arbitré avec le risque de maladies (mildiou/botrytis) et la gêne à la pulvérisation (effet splash). « À chaque vigneron de trouver son équilibre, souvent la non-intervention est la meilleure solution. Mais il est difficile de ne pas intervenir… » reconnaît Éric Maille.


Au-delà des réflexions, passer à l’enherbement « va demander des adaptations. Par exemple des densités de plantation, qui est un frein en Graves et en Médoc. Il faudra également s’orienter vers des choix de matériaux végétaux plus vigoureux pour réduire les concurrences en eau et azote » conclut Loreleï Cazenave.
* : « Les couverts sont des plantes spontanées et/ou semés restant en place plus d’un an. Les engrais verts sont des plantes semées et détruites en moins d’un an » rappelle Éric Maille.