Un printemps frais et pluvieux au Chili a eu comme conséquence de retarder légèrement la saison cette année, note Benoît Fitte, directeur technique du groupe Survalles, qui a commercialisé 1,6 million de caisses en 2018, en hausse de 10% par rapport à l’année précédente. Les vendanges devraient débuter d’ici quelques semaines dans les vallées du nord du pays pour se terminer en mai pour les cépages les plus tardifs. D’ores et déjà, et même si les conditions météorologiques peuvent encore modifier la donne, les professionnels évoquent une récolte normale. « Nous espérons de nouveau une bonne récolte », précise Benoît Fitte, rappelant que l’an dernier le Chili a frôlé les 12,9 millions d’hectolitres. Son avis est partagé par l’œnologue et responsable export de la société chilienne Portal del Sur, Arnaud Escourru : « On devrait compter sur une récolte normale, d’environ 11 à 12 Mhl, avec un recul des raisins de table. L’état sanitaire est satisfaisant, l’évolution des baies est normale mais l’été a du mal à s’imposer, ce qui devrait donner lieu à une récolte plus tardive que la moyenne ». Sur le plan qualitatif, les perspectives sont de bon augure pour l’instant : « Si l’épisode pluvieux de 2016 ne se reproduit pas – il n’avait pas été enregistré pareille catastrophe depuis 2002 – tout devrait être normal, comme d’habitude au Chili ».
Augmentation des stocks
La situation commerciale est moins sereine. « La dynamique d'achat de vin sur le marché national étant retombée à un niveau normal de sorties, les ventes ont été moyennes », note Arnaud Escourru. « Après deux années consécutives de baisse de récolte (2016 et 2017) d'environ -25%, 2018 a été une récolte en légère augmentation par rapport à une année normale, un peu aidée par l'augmentation des achats de raisin de table, moins chers. Le prix du raisin, indexé sur le prix du vin, a été très élevé en 2018, du jamais vu. Cela a provoqué une baisse de rentabilité des entreprises de vrac et surtout a engendré la fragilisation de beaucoup de bodegas, surtout en termes de trésorerie. Comme le dit le dicton chilien : "uva cara, vino barato" (raisin cher, vin peu onéreux), qui s'est confirmé en termes de prix puisque pour le vin il a été divisé par 2 sur le dernier trimestre de l'année 2018 ». Pour sa part, Benoît Fitte souligne que les exportations ont également régressé entre janvier et novembre 2018 de 19,5% pour les vins en vrac, et de 3% pour les vins en bouteilles. « Les baisses d’exportation conjuguées à la grosse récolte de 2018 ont généré une augmentation des stocks », affirme-t-il.
Effet domino
Il est indéniable que l’importante récolte ailleurs dans le monde en 2018 a pesé sur la commercialisation des vins chiliens. « Dès la fin de 2018, il était évident que les grosses récoltes dans l’Hémisphère nord avaient mis le marché en pause », note le courtier international Ciatti dans son dernier bilan mensuel. Là aussi, la situation des stocks est soulignée : « Au début de 2019, certaines caves se montrent préoccupées par leur capacité de stockage à la veille d’une nouvelle récolte, sachant que certains vins de 2018 n’ont pas été retirés – la situation s’est inversée par rapport aux deux dernières années où le vin a été retiré dès que possible ». Arnaud Escourru abonde dans le même sens : « Les mouvements de vin ont été freinés au Chili. Les grandes entreprises qui embouteillent ont fait le plein et s'étaient prémunies en quantité de raisins pour hausser leur stock de vin et compenser les pertes de 2016 et 2017. Surtout, elles ne voulaient plus acheter de vins hors de prix pour des qualités basiques. Ce sont d'ailleurs ces mêmes entreprises qui ont provoqué la spéculation du prix du raisin en 2018 et perturbé le marché. Du coup, les entreprises de vrac qui ont voulu s'aligner sur le prix du marché et acheter en grande quantité des raisins de cépages nobles chers voient leurs ventes bien en dessous du prix de revient, si vente il y a...! »
Fort ralentissement du marché chinois
Les premières transactions de raisins destinés aux vins de cépage débutent et la tendance en matière de prix est déjà manifeste : « 50% de moins que l’an dernier à la même date », précise Benoît Fitte, qui explique que la baisse est à attribuer non seulement à l’augmentation des stocks, au niveau chilien et mondial, mais aussi à la concurrence espagnole. La situation en Chine n’y est pas étrangère non plus. « Le pire a été la réaction du marché chinois, aujourd'hui leader en achat de vrac de vin chiliens, qui a littéralement stoppé ses achats dès le mois de mai, conscient de la future récolte importante en Europe et lassé d'acheter des vins chers, en dessous du standard de qualité. Le stock était d'ailleurs très important...tout l'été et la reprise s'est amorcée en novembre, après la baisse des prix et dans l'optique de préparer le Nouvel An chinois, le 5 février cette année ! » s’exclame Arnaud Escourru. Le Chili reste néanmoins avantagé en Chine par rapport à d’autres pays producteurs, et notamment l’Espagne, grâce à son accord de libre-échange qui prévoit des droits nuls à l’importation : « Un grand avantage quand l'Espagne se voit taxée à 30%...».
« Une nouvelle crise des prix »
Pour cette année, les perspectives ne sont guère réjouissantes pour le Chili dans son ensemble. « La campagne 2019 est très timide et le prix qui s'annonce dans les couloirs n'est pas réjouissant pour les producteurs. C'est hélas la conséquence d'années de pics qui retombent d'un coup, les bodegas n'étant plus en mesure de payer des sommes exorbitantes pour un kilo de raisin, parfois même pas à la hauteur de sa qualité », poursuit Arnaud Escourru. « Mais c'est la loi de l'offre et de la demande, qui aujourd'hui s'inverse et laisse présager une nouvelle crise des prix. C'est la réalité d'un marché très peu organisé entre production et négoce, qui au final pénalise fortement le viticulteur… Alors en termes de vin la déflation va se maintenir ». Pour sa part, Ciatti note qu’en dépit de quelques signaux faibles début janvier d’un « réveil » sur le marché, caractérisé par « un intérêt notable pour le sauvignon blanc, y compris depuis le Royaume-Uni, la majorité des acheteurs attendent de voir jusqu’où les prix vont baisser… »
Des problèmes de trésorerie en Argentine
De l’autre côté des Andes, une bonne récolte est également attendue et là aussi des inquiétudes se manifestent. Certains observateurs évoquent une production supérieure même de 10% à celle de l’an dernier, qui était déjà une récolte normale/importante (14,5 Mhl, +23%/2017). Au sein de l’équipe Peñaflor, groupe qui possède 3 200 hectares de vignes, Matias Buran du service export se refuse à tout commentaire sur les volumes – dans l’attente des prévisions officielles de l’INV – mais note que « les producteurs généralement estiment que cette récolte sera proche de celle de l’an dernier ». Ciatti parle d’une production de l’ordre de 2,5 à 2,6 millions de tonnes et confirme les inquiétudes ressenties au sein de la filière. « Du fait du ralentissement des ventes domestiques et internationales, les vignerons argentins ont dû faire face à des problèmes de trésorerie et des craintes ont été exprimées quant à leur capacité à financer les vendanges 2019 ». Sans parler des stocks ni des problèmes posés par les capacités de stockage. Dans la presse locale, des responsables professionnels ont souligné que « des financements sont nécessaires au niveau du fonds de roulement, des plans de viabilité de l’emploi, des mesures visant à réduire l’impact du tarif de l’énergie et d’une réduction de la charge fiscale, ce qui permettrait d’augmenter les exportations et de réduire les stocks ».
Les vins de cépage très compétitifs
Il est à noter que le prix du malbec de qualité standard a été divisé par deux, passant de 1,80 USD le litre en 2018 pour les vins de la récolte 2017 à 0,85-0,95 USD en décembre. Matias Buran reste optimiste : « Une bonne récolte en 2018, conjuguée à la situation économique en Argentine, ont rendu les vins en vrac très compétitifs. Cette situation a entraîné une hausse de 184% des exportations de vrac argentin entre janvier et décembre 2018. Les exportations ont porté essentiellement sur des vins blancs génériques à destination de l’Espagne et de l’Afrique du Sud ». Il reconnaît toutefois que « la plupart des acheteurs attendent que le marché se stabilise », mais estime qu’au vu du positionnement prix actuel des vins de cépage, « l’Argentine peut représenter une alternative intéressante pour les acheteurs qui souhaitent mettre en place de nouveaux programmes de vins du Nouveau Monde, surtout du malbec ».