es vendanges 2017 étaient marquées par une campagne de prévention contre l’alcoolisme, celle de 2018, le sera sans doute par la publication le 24 août d’une étude réalisée par l’Institute for Health Metrics and Evaluation de l’Université de Washington à laquelle plusieurs centaines de chercheurs dans le monde ont participé (dont deux français, l’un de Limoge, l’autre de Dijon). Elle porte sur 195 pays et s'appuyant sur des données récoltées sur une longue période 1990 – 2016. Notamment, les données portant sur l’exposition à l’alcool sont au nombre 121 029 émanant de 694 sources. Pour l’estimation du risque, ce sont 3992 données utilisées émanant de 592 études. La consommation d’alcool s’appuie sur un modèle de calcul couramment utilisé et intègre des ajustements pour prendre en compte la consommation touristique et la consommation non estimée, indique l'étude.
Les médias français ont largement relayé cette étude dans les jours qui ont suivi sa publication, France 2 allant même jusqu’à en faire son sujet d’ouverture du JT de 20h.
«La courbe de synthèse des risques montre l’augmentation de mortalité dès le premier verre», remarque le Pr Michel Reynaud, président du Fonds action addiction et concepteur du site addictaid.fr » relaye Le Figaro. C’est aussi ce à quoi concluent les auteurs de l’étude : « nos résultats montrent que le niveau le plus sûr est de ne pas boire d’alcool ». Mais « ce que nous dit l’étude, c’est que quand on boit trop d’alcool, c’est mauvais pour la santé » explique le cardiologue Yves Juillière. Boiire avec excés comporte des risque, tel est donc le message de l'étude. Et sur ce point, il ne semble pas qu’il y ait véritablement débat. « L’étude ne parvient pas à trancher sur les petites quantités d’alcool » souligne Yves Jullière. En effet, la courbe synthétisant toutes les maladies liées à l’alcool, soit 23 pathologies, montre un risque identique pour une consommation nulle d’alcool et une consommation d’un verre par jour.
C’est à partir de deux verres par jour que le risque augmente légèrement et devient supérieur au risque lié à une abstinence totale.
La presse ne s’est par ailleurs pas questionnée sur la pertinence des données. « Il s’agit souvent d’estimations » regrette Yves Juillère. Ainsi, pour la France, les chiffres de consommation sont estimés entre 4 et 5 verres pour les hommes et 2 à 3 verres pour les femmes. Or, en 2010 la consommation des français est estimée à 12 L d’alcool pur par an et par habitant de plus de 15 ans (source : alcool info service), soit 9600 grammes/an. Un verre standard d’alcool étant de 10 grammes, la consommation des Français serait plutôt de 2.6 verres par jour et par habitant de plus de 15 ans. La consommation des Français serait donc sur-estimée malgré la tentative des auteurs de limiter les biais liés à la consommation touristique.
Il est également possible de se questionner sur le caractère global de l’étude. « Elle ne se préoccupe pas du type d’alcool consommé » remarque Yves Juillère qui rappelle que, dans toutes les études randomisées, le vin rouge, du fait de sa teneur en polyphénols, apparaît atténuer les effets sur la santé lié à la consommation d’alcool. Par ailleurs, les auteurs de l’étude reconnaissent eux-mêmes que leurs estimations doivent être interprétées dans leur contexte. Notamment, ils notent que les modes de consommation d’alcool influent sur le niveau de risque de maladie. Or, ces modes de consommation ne sont pas pris en compte dans l’étude.
Enfin, en tirant des conclusions globales pour des situations économiques, sanitaires, sociales très différentes, il semble que naisse un biais. « Dans les pays à haut revenu, où il y a une prévalence des maladies de diabète et de pathologie coronarienne, l’étude devrait conclure à conseiller une consommation d’un à deux verres par jour » indique le cardiologue. L’étude fait en effet ressortir que pour ces deux pathologies, il y a bien une courbe en J : à savoir consommer un à deux verres par jour fait diminuer le risque par rapport à une consommation 0 (1).
Niveau de risque de développer un diabète pour un homme
Niveau de risque de développer une maladie coronarienne pour un homme
Dans le même ordre d’idée, la prévalence de la tuberculose liée à la consommation d'alcool dans les pays en voie de développement pourrait sans doute être évitée par la vaccination.
Une conclusion que ne tire pas les autres de l’étude qui recommandent aux gouvernements et décideurs de « maintenir des réglementations fortes sur l’alcool pour prévenir de le risque potentiel de hausse de consommation d’alcool dans le futur. Des réglementations efficaces mise en place aujourd’hui pourraient permettre des bénéfices substantiels pour la santé des populations dans le futur ». Ils détaillent plus loin les réglementations qu’ils estiment efficace : taxes sur les alcools, contrôle de la disponibilité de l’alcool, heure de vente, contrôle de la publicité. Leurs discussion ressemblent davantage à un plaidoyer pour une poltique de santé restrictive en matière d'alcool qu'à une conclusion scientifique sur les résultats obtenus par l'étude.
Pour lire l'intégralité de l'étude du Lancet, c'est par ici.
(1) au premier semestre 2018, l'existence de cette courbe en J avait été remise en question dans un article publié par la revue Lancet.