ombien d’Å“nologues martèlent dans la presse s’effacer derrière les terroirs qu’ils conseillent, alors qu’ils servent souvent de caution qualitative, voire de marque, sur la contre-étiquette ? S’il en est un à contre-courant, qui ne cède pas aux trompettes de la renommée, c’est bien Éric Boissenot, le gérant du laboratoire Å“nologique éponyme (basé à Lamarque). Des plus discrets, le docteur en Å“nologie est une personnalité rare, malgré les 150 propriétés qu’il suit dans le monde (dont 40 crus classés du Médoc). Faisant une entorse à ses habitudes, Éric Boissenot accepte momentanément d’être mis en avant lors de son intronisation à la Commanderie du Bontemps du Médoc.
Intimiste, la cérémonie se tient ce 20 juin au château Montrose (grand cru classé en 1855 de Saint-Estèphe), dont le directeur, Hervé Berland, est à l’initiative de cette intronisation. « Éric Boissenot est absolument l’homme du Médoc. S’il a eu ce succès, c’est en partie parce qu’il n’est pas médiatique. Cela lui permet d’aller dans toutes les propriétés. Il met sa casquette Montrose quand il est chez nous, mais avant il a pu mettre celle Lafite et après il mettra celle de Latour » explique Hervé Berland.


Cette logique d’effacement tient autant de sa famille que de son ancrage médocain reconnaît Éric Boissenot. « Nous considérons travailler au service des crus. Nous ne sommes qu’un maillon parmi d’autres. Cela tient aussi au Médoc, qui résiste davantage aux effets de mode. Il y a de l’inertie ici » évoque-t-il. Soulignant que cet immobilisme est une force : « sinon, cela veut dire que le terroir qui nous guide est changeant. Et qu’il n’est pas si fort que ça. Il faut être à son écoute pour qu’il s’exprime bien et en être fier. »
Tenant moins du dogme que de la philosophie, cette méthode de l’écoute empêche Éric Boissenot d’avoir un style uniforme, ou une réponse standard. « D’abord, il faut comprendre les vins, leur laisser de l’espace. Par exemple, je suis le château Montrose depuis 2014, ce qui est encore jeune. Il ne faut pas trop en faire, mais vinifier doucement et ne pas trop extraire. Les choses se voient alors naturellement. C’est en premier le terroir que l’on écoute, sinon on intervient trop et en forçant le trait on ne s’y retrouve plus » pose Éric Boissenot.
Le consultant reconnaît cependant avoir une marotte : l’optimisation des vins de presse. « C’est une autre partie du vin, plus concentrée. Mais derrière cet aspect brut se cachent des choses. Il ne faut pas trop extraire pour donner des choses à dire aux presses » explique Éric Boissenot. S’inscrivant dans la lignée de son père, Jacques Boissenot, et du fondateur de l’Å“nologie moderne, Émile Peynaud, l’Å“nologue médocain ne manque pas de philosophie : « les techniques sont le fondement de tout. Mais ce n’est qu’un moyen, le problème est de ressentir les choses pour agir au bon moment. C’est une création personnelle. » Une sagesse que l’on peut aussi entendre reprise par d’autres Å“nologues, mais rarement de manière aussi convaincante.
« La discrétion d’Éric Boissenot nous convient. Nous ne sommes pas dans le concept de cultiver telle ou telle personnalité, mais dans une trajectoire de travail d’équipe. La vedette, c’est le château » souligne Hervé Berland.