ne hausse généralisée des tarifs
Chez les opérateurs européens du moins, le mot « compliquée » est sur toutes les lèvres dès qu'il est question de décrire la campagne en cours. « Après deux ou trois années faciles, ce sera une année compliquée », confirme un gros opérateur languedocien, qui souligne également la difficulté pour les producteurs du Sud de la France d’exposer des vins prêts cette année à cause d’une récolte tardive. « Au niveau du millésime, il y a de tout. Les affaires ne démarrent pas. Les acheteurs attendent. Je pense qu’il faudra une baisse des prix de l’ordre de 5€ l’hectolitre pour qu’ils s’y intéressent ».
Les échos sont identiques du côté des Espagnols et des Italiens, où les tarifs ont augmenté sensiblement – de l’ordre de 10 à 15 % – dans la perspective de petites récoltes ailleurs et d’un niveau qualitatif jugé bon. « Le marché est bizarre cette année », affirme Luis Miguel Borras, directeur export de la cave Cherubino Valsangiacomo dans la région de Valence. En cause, des incertitudes sur le potentiel de récolte, amenant certains opérateurs à payer les raisins chers pour assurer leurs approvisionnements. « Les nouvelles d’une petite récolte en Argentine et au Chili ainsi que la qualité de la récolte espagnole ont eu un impact sur le positionnement prix de l’Espagne », explique Luis Miguel Borras.
L’effet tampon que jouent normalement les stocks n’a pas pu s’opérer cette année en l’absence de stocks de vins vieux, notamment en rouge. Résultat : « Les acheteurs achètent au mois le mois parce qu’ils pensent que les prix vont baisser vers le mois de février. Je pense que les prix vont se calmer, mais que nous ne reviendrons pas à ceux de l’année dernière, proche de 36 €/hl ». Pour sa part, Miguel Montoya, directeur technique de la cave Virgen las Nieves, qui a fusionné en août dernier avec celle de San Antonio Abad dans la région de Castille La Manche, confirme que « le marché est actuellement au point mort », mais espère qu’il « redémarrera avant Noël. Peut-être que les prix sont trop élevés. Les producteurs ont constaté les faibles récoltes dans beaucoup d’autres pays et le bon niveau qualitatif de leurs propres vins et ont mis la barre un peu trop haut ».
De l’attentisme aigu
De l’autre côté des Alpes, de grands groupes comme Caviro assistent à un phénomène similaire. Plus grande coopérative d’Italie, le groupe n’est pas spécialisé dans le vrac, mais représentait à la WBWE certaines de ses membres. « Nous assistons à une augmentation des prix des vins italiens cette année », reconnaît le directeur technique, Giordano Zinzani. « Les nouvelles d’une faible récolte française ont suscité beaucoup d’attentes en Italie et provoqué une hausse des tarifs ». Cela, malgré des disponibilités comparables à celles de l’an dernier du fait d’une stabilité des stocks et d’une récolte en très légère hausse par rapport à 2015.
L’intérêt important manifesté par les acheteurs allemands en faveur de vins de base pour effervescents a également fait monter les prix. « Mais en dehors des Allemands, les acheteurs ne se bousculent pas », constate Giordano Zinzani. « Ils attendent de voir l’orientation des prix ». Le même attentisme caractérise les pays producteurs entre eux : « On attend de voir comment les autres se positionnent ». Son avis est corroboré par Giuseppe Colucci de la société Enoagrimm, basée dans les Pouilles. « Le marché du vrac a marqué une pause. Il devrait redémarrer en début d’année. Il y a beaucoup de vins disponibles et les acheteurs attendent de voir ce qui se passe. Je pense que les prix baisseront un peu ».
Diversification du sourcing
Il faut dire que l’offre se diversifie de plus en plus. Après les pays producteurs du Nouveau Monde – Afrique du Sud, Australie et Chili en tête – qui se sont fortement positionnés sur le marché du vrac, les pays d’Europe de l’Est semblent de plus en plus présents. Pour preuve, le nombre d’exposants de la zone qui augmente d’une année sur l’autre, représentant des pays comme la Hongrie, la Moldavie, la Géorgie et même l’Arménie. Des fluctuations sur le marché russe, voire des interdictions à l’importation, poussent de plus en plus d’opérateurs est-européens à s’aventurer sur les grands marchés d’importation de vrac, avec des volumes parfois conséquents.
C’est le cas de la Moldavie, dont le vignoble s’étend, officiellement, sur quelque 140 000 hectares, ce qui le place peu ou prou, au même niveau que l’Australie. La consommation domestique étant assurée par la production artisanale des ménages eux-mêmes, la part des exportations est très élevée. « Entre 90 et 95 % de la production officielle est exportée », confirme Andrian Davidescu, directeur commercial de Vinaria din Vale, une exploitation familiale comptant plus de 1 000 hectares de vignes. La société vient d’expédier « des volumes importants » de vins pour la première fois en direction du Québec et de la SAQ et vise clairement à augmenter sa présence à l’international, d’où la poursuite de son programme de plantations qui concerne actuellement le cépage pinot gris. « Les acheteurs considèrent que nos vins sont comparables à ceux d’autres origines, mais qu’ils offrent un très bon rapport qualité-prix et un sourcing alternatif ».
Positionnées en dessous des prix du marché mondial, les expéditions moldaves décollent : « Nos exportations en bouteilles doublent d’une année sur l’autre et la plupart de nos vins sont déjà vendus », se réjouit Andrian Davidescu. Sa participation à la WBWE s’explique donc davantage par une volonté de mieux comprendre les courants d’affaires sur le marché du vrac, et de se positionner au niveau tarifaire pour être compétitif.
Le client est roi
Cet exercice de benchmarking et le besoin d’information sur un marché qui reste relativement opaque s’exprime chez tous les participants, exposants comme visiteurs. « Le salon permet surtout de voir ce qui se passe sur le marché », affirme Giordano Zinzani. « On y voit de plus en plus de courtiers, c’est révélateur ». Mais pas que. Le profil des exposants révèle aussi que la vinification et le conditionnement à façon, ainsi que la création de modèles de type ‘guichet unique’ se développe fortement. Toujours aussi pragmatiques, les Américains montrent la voie, à l’instar de la société Ancient Lake dans l’Etat de Washington. « En dehors de la vinification à façon, nous mettons à disposition un service de pressage de jus de raisin et sommes en train d’installer une chaîne d’embouteillage d’une cadence de 10 000 caisses par jour ainsi qu’un chai d’élevage », explique Ryan Hill, représentant commercial.
Les entreprises sud-africaines suivent le même chemin : créé il y a deux mois, The Bulk Wine Centre regroupe l’offre de dix caves et propose d’assembler les différents vins selon le profil demandé par le client. « Le but n’est pas de proposer des vins moins chers du fait d’un sourcing élargi, mais d’offrir une diversité dans les approvisionnements et les positionnements prix et de créer les vins que le client recherche », affirme Albertus Louw, consultant et œnologue.
Un marché d’opportunisme
Parallèlement à ces stratégies à moyen et long terme, les opérateurs doivent composer avec les aléas d’une production agricole, dont les effets se répercutent plus rapidement sur le marché du vrac que sur celui de la bouteille. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les Espagnols pourront se frotter les mains cette année du fait des faibles disponibilités au Chili et en Argentine et d’une hausse spéculative des prix. Les acheteurs chinois se sont ainsi rapidement orientés vers l’Espagne, faute de trouver une offre suffisante au Chili.
L’Argentine, quant à elle, s’est focalisée davantage sur son marché domestique et les expéditions en bouteilles. « La commercialisation de vins argentins en vrac tourne habituellement autour de 53 millions de litres. Cette année, ce volume est passé à 30 millions » affirme Barbara Smerkin du service export de la société argentine Penaflor. Détenant un quart du marché local, Penaflor a vu ses volumes de production baisser d’un tiers en 2016, le poussant à aller chercher des vins au Chili et en Espagne, tout comme un autre poids lourd du secteur argentin, Fecovita. La récolte 2017 soulagera peut-être les problèmes de disponibilités. « La météorologie a été très favorable jusqu’à présent au Chili et 2017 pourrait être un très beau millésime », anticipe Sebastian San Martin, co-fondateur et œnologue auprès de Probulkwine, qui dispose d’antennes à Santiago et à Mendoza. « L’Argentine, en revanche, a connu trois gelées dont l’impact est encore difficile à évaluer en raison de la floraison tardive ». Autant dire que les années se suivent et ne se ressemblent pas sur le marché de plus en plus mondialisé qu’est celui du vrac.
A chaque édition, la World Bulk Wine Exhibition consolide sa position de leader grâce à des évolutions qui tiennent compte des besoins très spécifiques du secteur du vrac. L’édition 2016 a été marquée par la création du Bulk Wine Club, la suite virtuelle du salon à destination des opérateurs, qu’ils soient exposants ou non, qui facilitera l’accès aux informations sectorielles et proposera une série de rencontres entre fournisseurs et acheteurs.
« Nous voulions rallier les opérateurs pour qu’ils soient en contact permanent et nous ciblerons les acheteurs au cœur de leur marché respectif », explique Blandine Philibert-Maret, directrice France de la WBWE. Si la prise de participation de la société britannique Euromoney dans le capital du salon en 2015 n’a pas fondamentalement modifié ses grandes lignes, « elle lui a permis de passer un nouveau cap en lui donnant les moyens de se développer réellement ».
En témoigne l’augmentation sensible du nombre d’exposants cette année grâce à une communication internationale renforcée. Prochaine échéance importante : les 10 ans du salon en 2018. « Ce sera un gros cap. Nous avons commencé à le préparer cette année et les préparatifs iront crescendo jusqu’en 2018. La concurrence essaie de se greffer sur le succès de la WBWE, mais nous ferons tout pour rester au sommet et pour continuer à tirer le secteur du vrac vers le haut », conclut Blandine Philibert-Maret.