n facilitateur d’échanges
Si le vrac est vilipendé par un certain nombre d’opérateurs, c’est surtout pour son manque de transparence, accusé d’être à l’origine d’un nivellement des prix par le bas. Que ce soit en Afrique du Sud ou en Espagne ou ailleurs, les producteurs, notamment, déplorent l’absence de visibilité au niveau des prix sur ce marché désormais mondialisé. En face, les acheteurs reprochent au secteur le manque d’informations sur l’état des stocks, élément clé des orientations tarifaires. S’il est donc un domaine où les nouvelles technologies de l’information pourraient jouer un rôle pivot, c’est bien en termes de transparence, renforcé paradoxalement par l’anonymat des interlocuteurs. Fort d’un quart de siècle d’expérience dans le commerce international du vin, notamment en vrac, Denys Hornabrook positionne bien Vinex, dont il est le directeur, comme facilitateur d’échanges et non pas comme successeur des courtiers en tant que tel, quoique... « Vinex apporte au secteur des progrès technologiques importants pour améliorer les liens entre les acheteurs et les vendeurs. Il favorise les échanges en temps réel, met à disposition des opérateurs des informations objectives sur le marché – notamment sur les prix et les stocks – et permet donc aux interlocuteurs de prendre des décisions avisées. Avant, les acheteurs devaient entrer en contact avec des courtiers et des producteurs, chacun ayant son interprétation de l’évolution du marché. Nous ne cherchons pas à modifier la manière fondamentale dont les approvisionnements en vrac se font, mais plutôt à proposer un autre type d’intermédiaire ».
Des investissements importants à rentabiliser
Une alternative qui a déjà séduit des opérateurs dans 32 pays pour près de 800 référencements et un volume total échangé de 140 millions de litres depuis juin dernier. « Le volume échangé augmente chaque mois et il y a trois semaines nous avons enregistré la première transaction d’un volume d’un million de litres », se félicite cet ancien de BRL Hardy et Kingston Estate Wines en Australie. Les échanges varient entre 10 000 litres et 1 million désormais, pour un volume moyen de 220 000 litres. L’objectif, avoué à demi-mot, est d’atteindre quelques centaines de millions de litres par an en vitesse de croisière. C’est le prix à payer pour les investissements majeurs consentis, et non divulgués, et pour satisfaire les 24 actionnaires, issus du monde des nouvelles technologies et non du vin. « Il aura fallu deux ans pour mettre la plate-forme au point et si les actionnaires représentent le secteur des technologies, nous nous sommes appuyés sur 16 confidents/consultants spécialisés dans plusieurs pays du monde et sur nos responsables régionaux qui sont œnologues. Mais nous ne voulons pas être rattachés à une structure qui pourrait nous tirer dans un sens ou dans un autre ». Outre les technologies et investissements requis, le temps d’intégration des fonctionnalités par les utilisateurs s’avère relativement long, la phase d’apprentissage durant environ 12 semaines en moyenne. « Nous savons que les jeunes générations ont tendance à épouser les nouvelles technologies plus rapidement que les autres. Lorsque nous présentons la plate-forme aux moins de 50 ans, ils ont généralement téléchargé l’application mobile avant la fin de la présentation et ont compris ses avantages et fonctionnalités ».
Premiumisation du vrac
L’arrivée des nouvelles technologies dans ce secteur reflète bien celle de la nature des produits, des échanges et du volume commercialisé. « Nous savons que 3,7 milliard de litres de vins sont exportés en vrac. L’OIV estime que 38% des vins dans le monde sont commercialisés en vrac, soit un volume global qui frôle les 10 milliards de litres ». C’est dire l’enjeu d’une implantation d’envergure sur ce marché. Par ailleurs, loin d’être une menace pour le marché du vrac, le phénomène de premiumisation le concerne aussi. « L’acceptation du vrac dans les catégories premium n’a jamais été aussi importante », affirme Denys Hornabrook. « Nous savons qu’il existe des expéditions en vrac de vins issus de sélections parcellaires avec dénomination d’origine qui sont mis en bouteille au Royaume-Uni et commercialisés à 10£. Personne n’en fait la promotion. Qui aurait cru que des cuvées parcellaires de shiraz de la Barossa ou de cabernet de Coonawarra arriveraient en vrac pour être mises en bouteille en Grande-Bretagne ? Nous assistons à l’émergence d’échanges en vrac de volumes confidentiels de vins de haut niveau qualitatif avec un packaging ultra premium ».
Demande accrue de la part des distributeurs
Cela étant, il va sans dire que la majorité des expéditions en vrac porte sur des vins d’entrée ou de cœur de gamme et que ce commerce est désormais mondialisé. « Nous faisons partie aujourd’hui d’un village mondial dans lequel les propriétaires de grandes marques recherchent un style de vin, universel, et un niveau qualitatif donné, en prêtant moins d’importance à ses origines géographiques ». La pression sur les prix est à son comble dans ces segments et les marges bénéficiaires deviennent alors le Graal de tout détaillant. « Même si l’on exclut des enseignes comme Aldi, qui ne commercialisent que leurs propres marques, la part des marques de distributeurs a désormais dépassé 30 % et s’approche des 40% chez les détaillants classiques. L’une des seules façons pour eux de comprimer les coûts et de maintenir ainsi leurs marges, est de s’approvisionner en vrac et de mettre en bouteille au plus près du point de vente ». L’émergence des « marques virtuelles », dont les propriétaires ne possèdent ni vignoble ni installations de vinification, ne pourra qu’accentuer cette tendance.
Les vins de terroir ne représentent qu’une faible part du marché
A moins que les producteurs ne mettent un coup de frein au développement du vrac pour favoriser les expéditions en bouteilles, et conserver ainsi une plus grande part de la valeur ajoutée. L’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur les dangers du vrac pour leur image et la rentabilité de leur secteur. Mais pour Denys Hornabrook, l’avancée du vrac est inévitable. « Il faut bien voir qui propage ce message. Ce sont les organismes professionnels dont la plupart des membres sont de petites et moyennes structures commercialisant des vins de terroir. Ces entreprises leur versent une cotisation pour pérenniser leur histoire. Or, le marché du vin forme une pyramide, avec à son sommet une petite part de 3-7% pour des vins de terroir, de haute expression. La réalité du marché est tout autre ».
La Chine renforce sa capacité d’embouteillage
L’arrivée de la Chine dans l’univers du vrac risque d’exacerber cette tendance davantage. En 2014, la Chine importait déjà 150 millions de litres de vins en vrac, soit 27% de ses importations totales. Sous l’effet des accords de libre-échange avec des pays comme l’Australie, le Chili et la Nouvelle-Zélande, dont les importations en vrac bénéficient de droits zéro, cette part va certainement croître. « Les marques de distributeurs et marques virtuelles progressent fortement en Chine », affirme le directeur de Vinex. « Nous avons constaté d’importants investissements, réalisés avec le soutien de l’Etat, dans des installations de mise en bouteille. A tel point, qu’on a l’impression qu’il y a plus de matériel flambant neuf en Chine que dans tout autre pays. Certes, aujourd’hui, cet équipement tourne au ralenti mais croyez-moi, les Chinois sont en train de renforcer leur capacité de mise en bouteille et nous assisterons à une accélération de ce phénomène. J’en veux pour preuve le fait qu’en moyenne le vrac représente 55% des importations dans les pays européens et en Amérique, tandis qu’en Chine elle ne dépasse pas encore 27%. Elle pourrait facilement doubler ces volumes pour atteindre 60% au cours des 5 ou 10 prochaines années ».
Une période de volatilité s’annonce
Les deux enjeux majeurs qui se profilent actuellement – à savoir les faibles disponibilités de vin dans le monde et la fluctuation des taux de change – pourraient également s’avérer favorables aux échanges par le biais d’une plate-forme numérique comme Vinex, qui offre une certaine visibilité du marché. « La fluctuation des taux de change suite au Brexit et, peut-être – le temps nous le dira – à l’élection de Donald Trump, a déjà entraîné une perte d’environ 25% en valeur, phénomène potentiellement lourd de conséquences pour le marché du vin. Du point de vue des prix et des disponibilités, nous entrons dans une période qui sera, je pense, volatile ».
En France, la plate-forme Vinsenvrac.com, dont la création précède celle de Vinex, propose une mise en relation numérique entre professionnels de la filière. Sur un marché mondialisé où la place de l’offre française est de plus en plus remise en cause, son objectif est de créer une vitrine pour les vins en vrac français et leur permettre d’accéder aux marchés internationaux. S’y ajoutent des objectifs que partage Vinex, à savoir la création d’un environnement d’affaires sécurisant et une amélioration de la transparence du marché par une information disponible en ligne. « Le numérique est une solution d’avenir qui permet d’élargir son spectre commercial et d’aller plus vite. Il ne remplace pas la relation traditionnelle entre opérateurs et le processus classique d’envoi d’échantillons par exemple, mais il met les opérateurs en relation avec de nouveaux contacts et représente une alternative pour diversifier son sourcing et sa base de clients », affirme Laurent Causin, chef de marché auprès de Vinsenvrac.com. « De plus, par rapport au nombre de nouveaux contacts générés, le prix est intéressant ». Plus de 10 000 hl par an sont commercialisés via la plate-forme française et l’objectif est de l’étendre à l’international pour refléter les réalités du marché mondial.