ue ce soit pour les vignerons revenant à une vinification épurée ou les consommateurs cherchant du sens derrière l’étiquette, la mouvance des vins naturels a clairement le vent en poupe (preuve en est donné à la carte des bistrots branchés). S’il porte un nom, ce succès se trouve cependant à court d’une simple définition. Selon les personnes interrogées, on peut substituer nature par : bio, sans sulfites, sans le moindre intrant, avec avec peu d’additifs chimiques, avec quelques interventions physiques… Voire même sans pétrole (mais avec de la traction animale).
Comme il semble y avoir autant de chapelles que de bouteilles dites naturelles, le flou règne sur la catégorie (même si la réglementation est claire : interdiction d’étiqueter « vin nature »). D’où l’ouverture d’un débat au sein de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) sur le besoin, ou non, d’encadrer cette terminologie. Lancé à l’initiative du Comité National de l’Agriculture Biologique, il est désormais élargi aux autres comités vins de l’INAO (AOC et IGP). Face aux discussions de la filière, le mouvement naturel héberge deux positions distinctes : ceux favorables à un moyen de garantir des pratiques au consommateur (et de prévenir les détournements de notoriété) et ceux ne souhaitant pas rentrer dans un moule réglementaire trop large (craignant de faire entrer le loup industriel dans la bergerie artisanale).
Ce 10 février, le Comité National vins AOC a passé une heure à débattre sur les vins natures et l’utilisation de leur terminologie, suite à la remise d’un rapport par la commission scientifique et technique de l’INAO. « Les débats sont nourris et les échanges constructifs » rapporte Eric Rosaz, le responsable du pôle vin de l’INAO. « Le sujet est ouvert. Les avis sont très partagés sur le besoin ou pas d’un encadrement » ajoute-t-il, précisant immédiatement que « l’INAO ne veut rien du tout sur ce sujet. Nous avons été saisis sur ce sujet. Et nous ne réglementerons que s’il y a une demande des professionnels. L’enjeu est d’éclairer ce que serait un cadre, et quels seraient ses impacts. »
Pour l’instant, le cadre réglementaire est on ne peut plus net sur l’étiquetage sur les vins de ces démarches naturelles. Il y a tout simplement interdiction de l’utilisation du terme « vin nature » et avoisinant (selon la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes). Mais l’utilisation de ces terminologies dans la communication des producteurs et sur les lieux de vente alimente un flou, a priori gênant pour les représentants du vignoble bio, qui craignent des confusions*.


Si l’on est loin d’une décision, une orientation au sein de l’INAO pourrait être la création d’une mention encadrée, type « vinification naturelle » ou « vin sans intrant ». Pour être mise en place, une telle hypothèse nécessiterait un simple décret d’étiquetage. Mais cette possibilité est encore lointaine, il faut encore que le Comité National vins IGP se réunisse pour débattre (le 26 avril prochain). Puis ce sera au tour du Comité national AB, en juin prochain, de se réunir pour faire un point d’étape sur ces échanges.
Autre date importante pour ce dossier, l’assemblée générale de l’Association des Vins Nature se tient cette fin mars. Ce n’est qu’à son issue que les porteurs de cette charte privée se positionneront collégialement. En attendant, ils appliquent la loi du silence, aucun membre du bureau n’ayant souhaité commenter, de près ou de loin, ces débats. Ce qui n’empêche pas les autres acteurs de ces pratiques alternatives de se positionner, de manière souvent nuancée.
Globalement, le besoin de lever les ambiguïtés sur les vins natures fait consensus. Mais encore faudrait-il être capable de le définir. Comme un consensus sur le sujet semble difficilement accessible, le mieux est de s’approcher de ce qui est actuellement perçu par le consommateur, comme le résume Virginie Joly, qui critique d’autant plus facilement ces confusions qu’elle ne revendique pas la terminologie nature (la Coulée de Serrant est certifiée en biodynamie, 8 hectares en AOC Savennières). Pour elle, « dans le langage commun, les vins natures sont sans sulfites ajoutés, et ça s’arrête là. Le problème, c’est que l’on trouve de tout, des vins sincères et d’autres qui sont conventionnels à la vigne et technologique à la cave. Cela pose un problème pour le grand public. »
Très favorable à un débat de clarification, le vigneron Michel Issaly (domaine de la Ramaye, certifié bio, 6 hectares en AOC Gaillac) se dit ainsi franchement fermé à toute possibilité de cahier des charges : « on a bien vu le laxisme à l’oeuvre pour le vin bio… Si demain, on en écrit un pour les vins natures, il est évident que risque de faire rentrer des gens que l’on ne souhaite pas. Et si c’est pour arriver sous l’emprise des gros faiseurs… » Prégnante, cette crainte de voir des opérateurs détourner cette approche alternative irrigue le mouvement nature.
Légiférer, mais en bonne intelligence confirme Virginie Joly : « il faut s’adresser aux gens compétents et légitimes, et pas aux technocrates ou aux industriels qui pourraient détourner un cahier des charges. » L’apparition en grande distribution de vins sans sulfites passe ainsi pour une alerte sur le risque que légiférer avec trop de souplesse sur la mouvance. Même si une dérive industrielle paraît peu probable, vu l’échelle de cette approche très minoritaire (Michel Issaly l’estime à 500-600 vignerons en France), mais surtout libertaire.


« Dans le milieu nature on revendique une certaine liberté, qui peut rentrer en contradiction avec un cadre » reconnaît Jean-Pierre Rietsch, vigneron alsacien certifié bio (domaine Rietsch, 11,5 hectares en AOC Alsace). Mais dans l’immédiat, tant qu’il n’y a pas de précisions, il ne se sent pas capable de se prononcer sur le débat : « ma seule revendication, c’est de ne pas être sorti de l’appellation ». Dans l’immédiat, ce sont plus les conclusions des dégustations d’agrément AOC face aux profils organoleptiques des vins natures qui interpellent les producteurs natures.
Pour nombre d’entre eux, l’exclusion de l’AOC est une étape qui semble inévitable. Une mise à l’écart qu’ils ne comprennent souvent pas, y voyant le rejet de leurs différences d’expression du terroir. Ce qui alimente une certaine forme de méfiance vis-à-vis de l’INAO, qui « tresse des lauriers au conformisme et à la production industrielle » selon un vigneron nature, témoignant anonymement.
Se plaçant contre la standardisation de cahiers des charges jugés trop conciliants et transposables, la filière nature attend beaucoup des discussions en cours sur la refonte des dégustations au sein des comités d’agrément AOC. « AOC et vins naturels, même combat ! Les deux sont intimement liés. Nous avons nos tripes dans l’appellation, mais jamais on ne pliera sur nos conduites à la vigne et au vin » prévient Michel Issaly. « C’est peut-être au mouvement viticole à prendre le plus d’ampleur ces 30 dernières années, depuis l’avènement de l’oenologie moderne. Ce mouvement infime fait bouger les lignes. »
De l’identitaire au révolutionnaire, il y a cependant plus d’un pas. Mais il reste aux vins natures une force d’entraînement non négligeable : sa viabilité économique. Si Jean-Pierre Rietsch « souhaite que l’on nous laisse la place pour exister et expérimenter », il souligne au passage que « nous ne faisons de mal à personne et nos cuvées sont vendues, et bien vendues. »


« Il y a du monde dans la niche » reconnaît Pierre Rousse, vigneron audois certifié bio membre de l’association SAINS (Le Pelut, 5 hectares en vin de France). « Je trouve un peu déloyal que des vins passablement sulfités se fassent passer pour des vins natures. A priori je ne suis pas trop pour la législation, mais il y a besoin de clarification » souligne-t-il. Se présentant comme un radical (pas le moindre intrant en vinification), Pierre Rousse fait des sulfites le centre de la démarche nature (en complément de la bio au vignoble), y voyant un apport dangereux pour les consommateurs.
Et comme d’autres, il estime qu’« en dehors des vins natures, il est important que tous les vins mentionnent leurs intrants ». Un point que ces acteurs alternatifs ne manqueront pas de soulever à l’occasion de débats nationaux.
* : Si certains opérateurs de la bio envisagent de mettre la certification AB en préalable à toute mention « vin nature », cela aurait pour conséquence une segmentation officielle des vins bio. Qui pourrait sembler pyramidale pour le consommateur. « Ce serait une distinction qui n’est pas à prendre à la légère » prévient Eric Rosaz.