Bordeaux, « 2014 est un très beau millésime, comme on ne l'attendait pas fin août » s'enthousiasme Frédéric Bonnaffous, le directeur des Vignobles Dourthe, qui accueille au château Belgrave (grand cru classé du Haut-Médoc) les dégustations primeurs de la maison de négoce CVBG. « Mais il n'est pas du niveau de 2009 ou de 2010 » tempére-t-il. Ce discours est partagé par nombre de dirigeants de grands crus, qui offrent à déguster cette semaine un bon millésime, à défaut d'une année exceptionnelle. « Après 2009 et 2010 on ne peut pas parler de 2014 comme un grand millésime. Le mois de septembre n'a pas sauvé le millésime » estime ainsi Paul Pontalier, le directeur général du château Margaux (grand cru classé de Margaux).
Si ce type d'été indien n'est pas inédit à Bordeaux, les prescripteurs et metteurs en marché se pressent pour en découvrir la dernière expression. Une affluence qui fait écho à une absence de marque : celle du critique américain Robert Parker, qui ne déguste plus en primeurs. La fin d'une époque, mais pas d'un système estime Alfred Tesseron, propriétaire du château Pontet-Canet (grand cru classé de Pauillac). « Les primeurs existent depuis toujours. Monsieur Parker est quelqu'un de très important, c'est peut-être l'homme le plus lu et le plus influent. Mais moi aussi je prendrai ma retraite un jour, et Pontet Canet me survivra » glisse-t-il malicieusement.
Aucun opérateur girondin ne croit en l'affaissement du système de primeurs à la suite du départ de Robert Parker. Négociants comme propriétaires soulignent que 12 à 15 000 professionnels continuent de venir à Bordeaux pour déguster le millésime en cours d'élevage. « Le système des primeurs reste un moyen de préfinancement pour les domaines et de réservation pour les distributeurs » souligne Sylvain Boivert (directeur du Conseil des Grands Crus Classés de 1855). L'absence du gourou du vin n'est cependant pas sans conséquence. « L'impact de la baisse de parité entre l'euro et le dollar aurait pu être phénoménal si Robert Parker avait été là » reconnaît ainsi Frédéric Bonnaffous. Avec ou sans l'avocat du vin, la seule question qui importe de nouveau reste celle du prix. « Chaque chose en son temps, pour l'instant je ne sais rien de ma stratégie de prix » s'exclame Alfred Tesseron, qui lâche cependant que « je ne la définis pas en fonction des autres crus... Mais en fonction de mon marché. »
[Photos : Frédéric Bonnaffous (en haut à gauche), Alfred Tesseron (en haut à droite)]