inehackers, un collectif de consultant organisait ce jeudi 13 novembre au château La Tour de Bessan à Margaux-Cantenac, une conférence au titre volontairement provocateur : "Est-il trop tard pour sauver Bordeaux ?" D’emblée, le premier intervenant, le consultant Fabrice Chaudier a voulu remettre les pendules à l’heure : « On nous rabat les oreilles avec le thème de la surproduction mondiale et celui de la déconsommation. En fait, entre 1960 et 2025, la baisse en millions d’hectolitres est de 47 %. Mais le vrai problème est celui de la mise en marché ».
Pour s’en sortir, Fabrice Chaudier, donne des recettes déjà énoncées par d’autres : rattrapage du retard commercial, restructuration des rouges, aide au stockage, exploration des bulles, orientation de la commercialisation vers des circuits traditionnels, vers la vente en direct, vers l’export… Et enfin cibler les bons segments de 9 à 20 euros par col. Dans l’assistance, on écoute poliment. Un viticulteur du Médoc, Remy Fauchey du château L’inclassable, 73 ans, prend la parole : « J’ai vu se dégrader l’image des Bordeaux et ce par notre faute. Les crus classés nous tiraient dans leur sillage, mais on s‘est menti à nous-mêmes ». Murmures d’approbation dans l’assistance.
Consultant en optimisation des coûts de production (Resilvigne), Fabien Fort, rappelle les fondamentaux de la chaine de valeur d’un domaine : définition d’une gamme de produit en fonction du client ciblé, mode de production des raisins (fertilité des sols, mécanisation), transformation des raisins et conditionnement, commercialisation et marketing (diversifier, développer l’image de marque, aller vers l’œnotourisme). Mais avant tout il faut connaitre l’existant et faire une analyse complète de l’exploitation. « Tout ça c’est bien beau, mais comment on fait comment quand on est endetté » glisse, à mi-voix, un viticulteur, assis dans les premiers rangs.
Pour revenir rentable, Fabien Fort prend l’exemple d’une parcelle de 60 ans avec des taux de manquants et improductifs de 25 %, qui produit 22 hl/ha. « On peut arracher et replanter la parcelle. Le cout est élevé (30 000 €) et retour à la production à six ans. On peut aussi investir dans la complantation et dans la taille (positionner des rameaux répartis sur le mètre linéaire disponible, faire progresser les pieds mono bras) ». Pour finir le rendement de 22 hl/ha est passé à 37.
En résumé, Fabien Fort délivre quatre clefs pour répondre aux défis des propriétés viticoles : un diagnostic lucide, une stratégie globale, un plan d’action pragmatique et une gestion optimisée. Et pour couronner le tout il assène une maxime : « Ce n’est pas le plus fort qui survit, mais le plus agile ».
Clé de sol
De son côté, le conseiller viticole Pierre-Hubert Gory s’est attaché à démontrer que les sols étaient des leviers d’innovation et de résilience. « Le sol n’est pas un simple support où "ça pousse tout seul". C’est un écosystème complexe, souvent incompris, toujours porteur de solutions. » Et de préconiser des règles de bon sens : repenser la gestion du sol en fonction de sa typologie. Et attention pas de lecture du sol sans lecture du climat. De même il conseille de mener une réflexion sur la gestion de l’eau, sur le choix des portes greffes, des densités et de valoriser des sols naturellement plus résilients face à la sècheresse. Quant à la biodiversité il s’agit de la mettre au service du système et de la production.
« Oui, les sols sont vivants, non ça ne veut pas dire "ne rien faire et attendre". Entre la charrue et le tout couvert, il y a surtout une question de cohérence, pédologique, agronomique » répète Pierre-Hubert Gory. Et si le sol se mettait au service du marketing s’interroge-t-il. « On peut repenser son approche des vins en partant du sol avec des cépages patrimoniaux, en s’autorisant à incorporer des challengers, des produits différents, des créations de gamme ».
Consultants viticoles (Terre Amany et Cambiom), Jessica Lécuyer Dupey et Davy Chodjaî ont abordé la réaction de la taille cordon face au mildiou, à la sécheresse, au gel. Règle n°1 : adapter la charge au potentiel de vigueur. Règle n°2 : construction d’un allongement maitrisé. Jessica Lécuyer Dupey s’adresse à l’assistance : « L’architecture en cordon, vous en pensez quoi ? ». Réactions mitigées : pas besoin de pliage. Super répartition des raisins pour les uns. Sensibilité aux maladies, au gel. Difficulté à mettre en place la tailler cordon pour les autres. Bref, ce n’est pas gagné. Les deux intervenants font part d’un résultat comparatif après 5 ans d’essais sur le nombre moyen de bourgeons par pied et sur les pampres (nombres par pied) entre une taille cordon et une taille Guyot. Le rendement moyen par pied augmente de 7 % en 2022 pour atteindre +30 % en 2025.
Hélène Bourquin, conseillère entreprise du secteur Médoc, à la Chambre d’Agriculture de la Gironde, a rappelé le soutien de l’institution notamment, au travers de la cellule Réagir, crée en 2020, qui se propose d’accompagner les viticulteurs en difficulté. Il y a trois ans, la conseillère traitait une cinquantaine de dossiers contre plus d’une centaine aujourd’hui.



