’après certaines sources, ces droits de douane additionnels rapporteraient quelque 30 milliards de dollars par mois au Trésor américain, une manne bienvenue pour tenter de combler le gouffre du déficit public. Mais pour une multitude d’entreprises américaines, notamment les plus petites, ce nouveau régime fiscal cauchemardesque met en péril leur pérennité. C’est dans ce contexte que Victor Owen Schwartz, importateur de vins et fondateur de l’entreprise familiale VOS Selections à New York, est devenu le porte-étendard d’une action en justice visant à faire annuler ces taxes à l’importation. Après deux victoires successives devant les tribunaux inférieurs, l’affaire a été portée devant la Cour Suprême le 5 novembre. Si aucune date n’a été fixée pour que la Cour rende sa décision, son arrivée accélérée devant cette instance laisse présager une annonce rapide.
Les importateurs ballottés« Tout le monde ressent l’impact de ces droits de douane, car ils doivent être acquittés en amont, qu’ils puissent ensuite être répercutés sur les prix ou non », déplore Andrea Nappi Conforme, présidente de l’Association nationale des importateurs de boissons (NABI). « Ce paiement anticipé provoque de réels problèmes de trésorerie et aucune entreprise ne prévoit de grosses dépenses à l’heure actuelle ». De nombreuses sociétés ont pu anticiper l’imposition des nouvelles taxes, expédiant les vins avant leur entrée en application le 7 août pour les entreprises européennes, « mais cette décision a dû être prise au cas par cas, car elle implique là aussi une charge financière considérable ». Une situation aggravée par la hausse des taux d’intérêt et par le « shut-down » fédéral. « Les zones portuaires restent ouvertes et les agents des douanes continuent de travailler, heureusement, mais les importateurs ne reçoivent plus leurs remboursements fiscaux dans le cadre de la loi Craft Beverage Modernization Act. Pour la trésorerie, c’est encore un coup dur », ajoute Andrea Nappi Conforme. Et de pointer également la suspension des autorisations d’étiquetage ou COLA, « ce qui implique un manque à gagner pour les entreprises ayant prévu de lancer de nouveaux produits ».
L’impact d’un dollar faiblePour soulager leurs partenaires américains, les fournisseurs européens qui ont pu se le permettre ont allongé les délais de paiement et offert des remises. Mais la politique commerciale de l’administration Trump a eu un autre effet pervers sur les échanges : ces derniers mois, le taux de change est passé d’une quasi-parité entre le dollar et l’euro à 1,17-1,20 $, soit une hausse d’environ 15% supplémentaires du prix des produits européens sur le marché américain, portant l’augmentation totale à 30%.
Réponses des opérateursFace à ce double impact fiscal et monétaire, plusieurs stratégies sont employées pour en atténuer les effets. Le recours à des entrepôts sous douane ou à des zones de libre-échange permet d’étaler le paiement des taxes, tout en maintenant la disponibilité des produits sur place. Parmi d’autres leviers figure l’optimisation des coûts logistiques et l’utilisation du régime de ristourne pour les importateurs qui exportent des produits comparables (le « duty drawback »). De plus en plus d’opérateurs se tournent également vers les « private labels » pour mieux maîtriser les coûts et les marges. L’expédition de vins en vrac, tout en étant considérée comme une solution à long terme, apparaît elle aussi comme une stratégie potentielle pour certains exportateurs européens. « Hormis des coûts logistiques moindres, il existe un avantage tarifaire désormais pour des vins en vrac européens dont le taux d’alcool dépasse 14% et dont la valeur commerciale est inférieure à 1,50 $ le litre », note Serena Campbell, directrice opérationnelle auprès d’USA Wine West, premier prestataire national de services d’importation aux Etats-Unis. Avant l’instauration des droits de douane réciproques – plafonnés à 15% – ces vins étaient soumis à un taux plus élevé. « Aujourd’hui, ils sont imposées au même niveau qu’ils l’étaient depuis des décennies ». Notons que les expéditions de vins en vrac français vers les USA ont bondi de 59% sur 7 mois.
Résilience des vins importésCe type de mécanisme semble peu généralisé pour le moment, la plupart des entreprises étant toujours en phase d’ajustement avant de pouvoir affiner leurs stratégies. Il n’empêche que les vins importés semblent globalement tenir le cap. Selon les données de la NABI – actuellement arrêtées au mois de juillet pour cause de paralysie des services gouvernementaux – les importations de vins tranquilles ont progressé de 5,7% en volume sur les sept premiers mois de l’année, tandis que les effervescents ont bondi de 13,4%. Pour la France, les progressions s’établissent respectivement à 9,2% et à 14,9%. Difficilement remplaçables par des produits locaux, les vins importés offrent également un rapport qualité-prix supérieur aux cuvées locales. Courtier américain spécialisé dans le vrac, Adam Schulz note que « les droits de douane ne semblent pas avoir un impact majeur car les prix des vins en vrac sont tellement bas que mes clients importateurs n’hésitent pas à acheter. Même en y ajoutant 10 ou 15%, les prix restent incroyablement abordables. Personnellement, il y a 15 jours j’ai vendu plus de vin en une semaine que sur toute l’année 2024, qui n’était certes pas une référence ». Les valeurs restent, en revanche, à la traine, les vins tranquilles enregistrant globalement un petit 1% de hausse sur 7 mois tous pays confondus. Mais pour Adam Schulz, « sans que ce soit encore confirmé par les données officielles, on sent qu’en termes de volumes, les tendances sont beaucoup plus positives sur le marché américain qu’il y a un an ».
Reste désormais à savoir si la Cour Suprême jugera ces droits de douane légitimes, ou si elle estimera que le président Donald Trump a outrepassé un pouvoir qui relève normalement du Congrès. « L’affaire est très bien défendue par les associations d’importateurs et d’autres acteurs », observe Nicolas Boissonneau, des Vignobles Boissonneau dans l’Entre-Deux-Mers, dont les vins sont diffusés dans une trentaine d’Etats américains depuis de nombreuses années. « Mais de là à les faire annuler complètement, ce serait une belle surprise ». De son côté, la présidente de la NABI reste sceptique : « Même si ces droits de douane étaient annulés, on a le sentiment ici que l’administration trouverait un moyen de les rétablir par un dispositif différent de la loi IEEPA ». Au-delà de l’enjeu juridique, cette affaire illustre la résilience d’un secteur habitué à composer avec les aléas du commerce mondial : « Ces taxes coûtent à tout le monde, c'est la réalité, c'est vrai aux États-Unis comme sur les autres marchés. Mais aujourd'hui il faut avoir la volonté de s'adapter aux contextes géopolitiques, autrement on ne prend plus de commandes », estime le producteur bordelais.




