Adore ton métier, c'est le plus beau du monde !
Le plaisir qu'il te donne est déjà précieux,
Mais sa nécessité réelle est plus profonde...
II apporte l'oubli des chagrins et des maux,
Et ça, vois-tu, c'est encor mieux ! » lance Sacha Guitry dans son monologue de Deburau. Si l’auteur-acteur parle ici du métier de mime-acteur, il pourrait aussi bien parler de celui de vigneron. En témoigne le livre de maison des champagnes Pierre Gimonnet & Fils, marquant le centenaire de sa fondation en 2025. Même si « être vigneron, ce n’est pas un métier. C’est un choix de vie » pose Didier Gimonnet, le petit-fils de Pierre Gimonnet, pilotant le domaine de 30 hectares de vignes à Cuis (Côtes des Blancs, Marne) avec son frère, Olivier, son fils, Pierre-Guillaume, et son neveu, Arnaud. Pour Didier Gimonnet, être vigneron est « un engagement qui demande patience, constance, humilité… Et, en même temps, l’envie profonde de se dépasser. Car révéler un terroir n’a rien d’un hasard : c’est un chemin exigeant, qui transforme autant l’homme que le vin. »
Confirmant l’adage de Pasteur selon lequel il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres, Didier Gimonnet pointe que l’« on ne fait pas du vin pour soi. On le fait pour qu’un jour, quelqu’un, quelque part, soit touché. Et quand cela arrive, ce n’est jamais anodin. C’est une joie discrète, mais profonde. » Car « quand on consacre autant de temps à un vin, on espère simplement qu’il sera compris, et apprécié à sa juste valeur. Chaque bouteille porte en elle une part de nous : notre regard sur le terroir, notre exigence, notre sens du temps. On y met tant de soin qu’elle finit par avoir une âme. Alors forcément, on préfère qu’elle éveille l’émotion chez quelqu’un qui saura l’accueillir. »
Concrètement, « il y a cette joie simple de partager un vin que l’on aime, et cette fierté silencieuse d’avoir été à la hauteur de ce que la nature donne — sans jamais trahir ce qu’elle demande » pose Arnaud Gimonnet, qui défend avec sa famille une vision pragmatique et non dogmatique de la viticulture. « Ce qui fait la singularité d’un grand vin — la préservation des vieilles vignes, les sélections massales, l’intransigeance sur les dates de récolte —n’entre dans aucune certification » élude le vigneron, croyant dans l’action cohérente plus que dans la coercition limitante.
Le cycle de la vigne
« Nous pratiquons une viticulture en mouvement » défend-il, soulignant que « la jeune génération l’a compris : l’avenir exige de s’adapter — aux enjeux climatiques*, environnementaux, sociétaux — sans jamais renier notre style. Produire des vins élégants et minéraux dans un climat qui change, tel est notre cap. » Dans ce monde changeant climatiquement, « rien n’est figé. Tout se réinvente, année après année, avec humilité. Depuis toujours, nous sommes des vignerons responsables, profondément honnêtes et transparents. Et sommes convaincus que nos vins l’expriment et le disent pour nous » avance le vigneron, pour qui ce soin n’est pas conceptuel, mais « s’exprime surtout par des gestes, des années de vie au service d’une terre, des transmissions souvent silencieuses entre les générations ».
Au final pour ce livre de maison, « être vigneron, ce n’est pas un métier. C’est une forme de fidélité. Un engagement discret, obstiné, qui dépasse l’individu ». Ce dernier étant rarement visible derrière l’étiquette et la bouteille, s’effaçant sous l’écoulement de son travail. « On se souvient toujours si mal de ceux qui vous ont fait du bien ! » lance Sacha Guitry dans Deburau, ajoutant qu’« à ceux qui font sourire on ne dit pas merci –
Je sais, oui, ça ne fait rien,
Sois ignoré. »
* : « Le climat change, vite. Des saisons plus chaudes, des équilibres à préserver, des vendanges parfois précoces : chaque millésime devient un exercice d’attention et de précision. Nous relevons ces défis avec lucidité, en adaptant nos pratiques, tout en restant fidèles à notre cap : préserver la fraîcheur naturelle, la tension minérale et l’élégance de nos vins » précise Didier Gimonnet.




