illard des anges. Dans le vignoble de Cognac se multiplient les vols d'eaux-de-vie, sans que cela ne dissuade les Douanes de demander le paiement de leurs droits d'accises. S'il est difficile de chiffrer ces méfaits (on parle dans la campagne de 5 vols de cognacs déclarés en 2024), le premier larcin de l'année 2025 concerne sans conteste le domaine charentais des frères Baratange à Lachaise (36 hectares de vignes en Petite Champagne, 4 ha en vin de pays et 90 ha de céréales), qui a constaté ce 6 janvier l'effraction de sa grille d'entrée (fracturée jusqu'aux gonds dans la pierre de taille) et des portes de son chai (non-relié à l'électricité et donc sans alarme) pour le vol de 5 000 litres d'eaux-de-vie en cours d'élevage (allant jusqu'au compte 10, le stock étant constitué depuis 2011, après la reprise du domaine en 2008). « Cela demande de la logistique et de l'équipement pour pomper les fûts sans électricité. On ne sait pas combien ils étaient, s'ils ont fait plusieurs voyages? Beaucoup de nos fûts ont été vidés, certains en partie, d'autres en totalité » esquisse Grégory Baratange.
Vendant sa production à des maisons de Cognac, le viticulteur estime sa perte à 200 000 ?. Une perte sèche, le contrat d'assurance souscrit auprès d'Axa imposant une alarme qui allait être installée après le raccordement à l'électricité. Double peine pour le domaine, les Douanes estimant qu'il est redevable des droits accises sur ses volumes volés. 84 000 ? sont ainsi demandés par la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI). « Nous sommes en régime suspensif des droits dans la région. Contrairement au coulage et à l'incendie où l'on peut bénéficier d'une exonération, en cas de vol il y a un appel de droit obligatoire selon les Douanes » rapporte Grégory Baratange. Le bouilleur de cru à domicile vient de négocier un échéancier, « la seule faveur permise par les douanes », alors qu'il n'arrive pas à obtenir d'évolution de la position de la DGDDI. Une aberration et un calvaire pour son domaine alors que la filière de Cognac est fragilisée par la baisse de ses ventes sur ses premiers marchés (entre enquête antidumping en Chine et taxes Trump aux États-Unis). « Ça tombe au pire moment » soupire-t-il.
Sollicitées sur l'exigibilité par l'administration du paiement des droits d'accises sur les volumes de spiritueux volés, les Douanes détaillent que « l'accise sur les alcools est une taxe dont les règles sont harmonisées au niveau européen par deux textes : la directive établissant le régime général d'accise et la directive concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques. Conformément à cette directive, la sortie d'un entrepôt, y compris la sortie irrégulière sous forme de vol, entraîne l'exigibilité de la taxe. L'opérateur ainsi que toute personne ayant participé à la sortie irrégulière de l'entrepôt sont solidairement responsables de son paiement. Ces dispositions sont transposées dans le code des impositions sur les biens et services (articles L.311-15 et L.311-24 du CIBS). Il résulte de ces dispositions que l'opérateur qui a subi un vol d'alcool est redevable des droits dus sans pouvoir bénéficier d'une admission en décharge par les services douaniers. » Il s'agit « d'une application par la DGDDI du cadre législatif, réglementaire et jurisprudentiel » confirme pour sa part la préfecture de Charente.
Reste un sentiment d'aberration et de double peine dans la filière charentaise. « On se fait voler des volumes dans les chais, avec d'importantes dégradations, et on doit payer des taxes comme si les volumes avaient été vendus en intégralité sur le territoire français » résume Anthony Brun, le président de l'Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC (UGVC). Fixés à 2 508,98 euros par hectolitre d'alcool pur (1 899,18 ? de droits d'accises et 609,80 ? de cotisations pour la sécurité sociale), les taxes demandées en 2025 peuvent même monter à des niveaux plus importants que la valeur de l'eau-de-vie souligne le viticulteur, qui porte une demande syndicale : « a minima qu'en cas de vol la demande des taxes ne soit pas appliquée ». Mais « ces règles ont été introduites dans le droit européen dès 1992 et sont connues des opérateurs. De plus, aucune modification de ces dispositions n'est envisagée » précise de son côté la DGDDI, ajoutant que « les opérateurs savent qu'ils doivent mettre en place toutes les mesures nécessaires de sécurité pour protéger leur stock au risque (garanties), à défaut, de devoir s'acquitter des droits devenus exigibles. »
Enquêtes en cours
Taiseuse, la filière du cognac ne bruisse que d'échos lointains sur ces vols difficiles à quantifier et à suivre. « Ces choses ont toujours eu lieu, ces pratiques s'organisent certainement de mieux en mieux » avance Anthony Brun. Sollicitée, la gendarmerie de Charente indique ne pas pouvoir communiquer sur le sujet des vols d'eaux de vie, comme des enquêtes sont en cours. Dans les sections de recherche suivant ces vols, on note que ces vols sont très organisés (avec repérages, camions, citernes, pompes?) et répondent à des commandes (avec des réseaux spécialisés). « Ce sont des vols très particuliers. Il est plus risqué de voler pendant des heures des hectolitres de cognacs que de démonter dans un chai isolé le cuivre d'un alambic à la scie circulaire » glisse un brigadier.



