omme chaque année depuis 2019, Pierre Estorge, le directeur d’exploitation du Château La Garde à Martillac, en Gironde, attend les prédictions de Sovivins Conseils avant de lancer la taille. Objectif : adapter la charge en bourgeons à la fertilité du millésime à venir estimée par Sovivins. « On reçoit entre fin novembre et début décembre une synthèse climatique de l’année écoulée et une prédiction de la fertilité du millésime à venir en fonction du climat au moment de la fleur et d’autres paramètres, explique-t-il. Pour le millésime 2025, on savait que les conditions climatiques 2024 au moment de la fleur n’étaient pas exceptionnelles – pluies froides et forte pression du mildiou –, et que l’induction florale serait donc moyenne. Alors, quand le modèle Sovivins nous a prédit une fertilité faible à très faible, on n’a pas hésité à laisser 7 bourgeons au lieu de 6 par pied. Sans ce bourgeon supplémentaire, on perdait 15 % de rendement avant même de commencer la saison. »
Malgré cette précaution, Pierre Estorge n’a récolté que 45 hl/ha, soit 15 % de moins que lors d’une année normale : « Les grappes se sont avérées plus petites que d’habitude, avec moins de baies, surtout dans les merlots plantés dans des sables et des graves, sensibles au stress hydrique. La taille des baies, elle aussi, était 15 à 20 % plus petite que d’habitude. Forcément, cela se ressent dans les rendements. »
Au Château Léoville Las Cases, à Saint-Julien-Beychevelle, Timothée Lafon, le chef de culture, s’appuie également sur le modèle prédictif Sovivins pour transmettre des consignes à ses tailleurs. « On leur demande d’adapter le nombre de bourgeons selon la fertilité estimée au moment de l’initiation florale jusqu’à l’arrêt de la photosynthèse, et le rendement de l’année passée. Mais ils doivent aussi tenir compte de la vigueur des pieds, et ne pas trop charger ceux qui sont faibles. L’année dernière, le modèle prévoyait une faible mise en réserve. On leur a demandé d’ajouter un œil de plus sur des pieds de cabernet-sauvignon et de cabernet franc plantés sur un sol sablo-graveleux, particulièrement sensible à la mise en réserve. »
Timothée Lafon utilise également les prévisions pour l’entretien des sols. « Comme on savait que les pieds risquaient de manquer de vigueur, on a voulu limiter au maximum la concurrence hydrique avec l’herbe. Pour cela, on a détruit le couvert végétal semé un rang sur deux, début mai, soit six semaines plus tôt qu’en 2024. Avec la sécheresse estivale que l’on a eue, on ne l’a pas regretté », avoue Timothée Lafon.
Cyrille Thienpont, le gérant du Château Pavie-Macquin, à Saint-Émilion, s’en sert, lui, pour raisonner les dédoublages début mai : « Principalement sur les merlots. On a pour habitude de faire des dédoublages, mais si la fertilité estimée est faible ou moyenne, on n’hésite pas à conserver les doubles sur le troisième et le quatrième bourgeons pour obtenir plus de grappes. »
Pour le prochain millésime, Pierre Estorge est confiant : « Cette année, les conditions climatiques ont été clémentes au moment de l’induction florale. On pense donc rester sur le nombre habituel de bourgeons. Mais on attend quand même les prédictions de Sovivins pour donner les consignes de taille. Certains secteurs ont subi d’importants stress hydriques et il se pourrait bien que l’on soit obligé d’adapter la charge. » Réponse début décembre en même temps que le premier coup de sécateur.
Les prédictions du modèle Sovivins sont issues de données relevées sur 35 parcelles de merlot et de cabernet-sauvignon disséminés dans toute la Gironde. « Nous estimons la fertilité, à savoir le nombre de grappes par rameau et leur taille, entre 1 et 5 (de très faible à très élevée), à partir de la pluviométrie, de la température et de l’ensoleillement au moment de la fleur, de la pesée des bois de taille et du stress hydrique entre le 15 avril et le 30 juin de l’année n-1, détaille David Pernet, cogérant de Sovivins Conseils. C’est une donnée que nous fournissons gratuitement à tous les vignerons qui travaillent avec nous pour le suivi de leur propriété ou la formation de leurs tailleurs. D’ici l’hiver 2026-2027, nous espérons pouvoir leur fournir un indice quantitatif de cette fertilité potentielle, calculé à partir du nombre de grappes par rameau, de la longueur moyenne de la grappe et de celle de leur ramification principale. »