a ne surprendra personne, mais c’est scientifiquement prouvé et annoncé ce 15 septembre par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (Anses, dépendant du ministère de l’Agriculture) et Santé Publique France (dépendant du ministère de la Santé). « L’exposition [aux pesticides] en zones viticoles est majoritairement plus élevée qu’en zones éloignées de toute culture » (avec des augmentations de 15 à 45 % pour la contamination dans les urines entre riverains viticoles et non-riverains, jusqu’à 1 000 % sur les poussières, x12 pour l’air ambiant…) et « en zones viticoles, l’exposition en période de traitement est majoritairement plus élevée qu’en période hors traitement » (jusqu’à +60 % sur les urines entre période viticole et hiver, +700 % sur les poussières, x45 pour l’air ambiant…). Adultes comme enfants présentent les mêmes résultats, sauf les enfants de 3 à 6 ans*, où l’on mesure une imprégnation plus importante en zone viticole. Ce qui s’explique car « les enfants peuvent avoir des comportements qui les exposent davantage (contact avec le sol par exemple) et leur organisme élimine moins bien les polluants auxquels ils sont exposés » avance Clémentine Dereumeaux, chargée de projet à Santé publique France.
Telles sont les principales conclusions de l’enquête PestiRiv, soit l’étude d’exposition aux pesticides des riverains de vignobles (parcelles viticoles à moins de 500 mètres et pas d’autres cultures à 1 km) par rapport aux habitants éloignés de toutes cultures (1 km de distance minimum), pendant et en dehors des périodes de traitements phytos (respectivement mars-août 2022 et octobre 2021-février 2022). Les agences gouvernementales indiquant que la viticulture a été sélectionnée pour sa proximité avec des riverains (4 % de la population française vivrait à moins de 200 mètres d’une parcelle de vigne en 2010) et son usage conséquents aux phytos (Indice de Fréquence de Traitement moyen de 12,4 en 2019).
Facteurs d’exposition
Inédite par son étendue géographique (265 localités faisant le tour de France viticole, voir encadré), l’ampleur de son échantillon (1 946 adultes et 742 enfants suivis sur 56 pesticides recherchés**) et ses moyens (11 millions d’euros), l’étude conclut qu’« en zones viticoles, l’exposition est influencée par les quantités de produits utilisés, la distance aux vignes, les contacts avec l’environnement (temps passé à l’extérieur et aération du logement) et certains gestes du quotidien (enlever les chaussures à l’intérieur, nettoyer son logement, sécher son linge à l’intérieur, VMC, éplucher les fruits du jardin, limiter la consommation d’œufs domestiques) ».
Ayant demandé l’analyse de nombreux prélèvements (3 484 analyses d’urine pour 12 pesticides, 1 890 de cheveux sur 20 matières actives, 1 557 d’air ambiant sur 39 substances, 790 poussières sur 48 pesticides, 333 air intérieur sur 40 phytos et 106 produits du jardin pour 52 pesticides), cette étude robuste affirme que « pour l’ensemble des catégories d’échantillons, l’exposition aux pesticides mesurés en zones viticoles est majoritairement plus élevée qu’en zones éloignées de toute culture ». Sachant qu’il existe des cas où il n’y a pas de différences entre populations viticoles/non-viticoles, ce qui s’expliquerait pour les deux agences par d’autres sources d’expositions (sont évoqués le cuivre et les pyréthrinoïdes) ou une faible utilisation des phytos sur un millésime 2022 assez sec (cas des fongicides à base de tébuconazole).
Et le risque sanitaire ?
Dans l’ensemble, ces résultats remplissent les objectifs des chercheurs de l’ANSES et de Santé Publique France qui soulignent que cette étude comble le manque de données d’exposition aux phytos en conditions réelles. Mais cette synthèse n’a pas de quoi répondre à toutes les interrogations sur le risque sanitaire de ces expositions aux phytos formulées par la centaine de journalistes présents en visioconférence de presse ce 15 septembre, cherchant à connaître les risques sanitaires impliqués par ces expositions aux pesticides. « Cette étude n'avait pas d'objectif d'évaluation des risques sanitaires » explique à la presse le professeur Benoit Vallet, directeur général de l'Anses, évoquant l’usage « dans un second temps » des résultats de PestiRiv pour déterminer s’il y a des effets sur la santé des riverains.


En l’état, les concentrations de phytos relevées durant PestiRiv dans les cheveux et urines ne peuvent être comparées « à des valeurs sanitaires d'imprégnation » comme le prévient Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée des produits réglementés à l’ANSES, qui veut « signifier aujourd'hui qu’il y a des imprégnations, des gradients d'imprégnation. Donc la culture a une influence sur la charge corporelle. Mais on n'est pas forcément dans une circonstance d'alerte [pour dire que] ces imprégnations correspondent à un risque avéré et nous avons un problème d'imprégnation. » Assumant un rôle de recommandation et de prévention pour réduire ces expositions, l’ANSES et Santé Publique France signent un avis préconisant « de réduire l’utilisation de pesticides au strict nécessaire pour limiter l’exposition des personnes vivant près des cultures » et d’« informer la population vivant en zones viticoles au préalable des traitements ».
Revenant aux résultats de l’étude, Ohri Yamada, le chef de l'unité phytopharmacovigilance de l’ANSES souligne que « le facteur qui influence le plus l'exposition reste les pratiques agricoles aux alentours des foyers », d’où la priorité « de limiter l'utilisation des produits phytopharmaceutiques au strict nécessaire par une mise en œuvre ambitieuse de la stratégie nationale Ecophyto 2030 dans le cadre de la directive européenne de l'utilisation durable des produits phytopharmaceutiques ». Concrètement, comment définir ce "strict minimum" ? Cela pourrait être un optimum de traitement : « c'est à dire le plus bas ce qui est raisonnablement possible pour atteindre l'effet attendu [de protection des plantes] dans la mesure où ça va avoir une action directe sur l'exposition [aux phytos] et également un effet pour l'activité économique en elle-même » avance Matthieu Schuler, le directeur général délégué des sciences pour l'expertise de l’ANSES, pour qui il est possible de coller au « strict nécessaire » avec des outils comme les « prévisions météorologiques ». Sachant que « PestRriv, ce n'est pas refaire le match de l'évaluation des risques » des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) pour Matthieu Schuler, comme on « trouve des expositions qui ne sont pas nulles. Ce n'est pas une remise en cause de la démonstration initiale. Lorsque l'on autorise des médicaments, on va les retrouver aussi dans l'eau et avoir des personnes exposées à des résidus médicaux. »
Vignoble premier concerné
Attendus autant que craints dans la filière vin, entre vendanges et foire aux vins d’automne, ces résultats ne vont pas manquer d’interpeler. Surtout en fonction des échos médiatiques qui en seront faits. Premiers exposés, les viticulteurs et viticultrices n’ont pu être étudiés à proprement parler dans PestiRiv. « Parmi les riverains inclus dans l'étude, certains étaient des viticulteurs ou viticultrices. L'interprétation des résultats prend en compte l'utilisation professionnelle de pesticides pour pouvoir faire la part entre l'exposition liée à la présence de vignes et celle liée aux autres sources d'exposition (utilisation professionnelle ou domestique de pesticides, alimentation, etc.). Toutefois le nombre de viticulteurs inclus dans l'étude (environ 30) était trop faible pour donner une description détaillée de leur exposition » indique Clémentine Dereumeaux.


Dans le vignoble, on ne minimise pas l’enjeu, au contraire on revendique de s’y attaquer depuis des années. « Nous vivons nous mêmes au milieu des parcelles concernées » rapporte à Vitisphere un vigneron médocain, ajoutant que « nous déjeunons ou dînons dans nos jardins nos enfants jouent dans les cours de récréation et nous sommes conscients de cette problématique au moins depuis 25 ans ». Depuis une génération, la prise de conscience s’accompagne d’évolutions substantielles des pratiques : « les produits utilisés sont stockés très soigneusement dans des locaux dédiés, les buses de pulvérisation sont soigneusement entretenues, les traitements prennent en compte la vitesse du vent, les bacs de traitement sont rincés et les effluents traités, les opérateurs eux-mêmes portent combinaison et masque, ils sont dans une cabine étanche… » liste le vigneron médocain, estimant que « quoiqu’on en dise, la diffusion de la norme Haute Valeur Environnementale (HVE) a beaucoup fait et le niveau de formation a très largement évolué, aussi bien des commerciaux et des distributeurs-vendeurs de produits phytos, que des chefs de culture acheteurs ».
Mais alors que « cultiver et vinifier plus propre coûte plus cher, tout cela aurait bien pu se passer si le marché domestique et le marché mondial avaient accepté que cette hausse des prix de revient soit répercutée sur le prix de vente de la bouteille » regrette ce vigneron médocain, notant qu’après une brève embellie, liée à la rareté des vins labélisés, désormais ils ne paient pas plus. C’est l’un des nombreux angles mort de PestiRiv pour amener la viticulture vers plus de durabilité.
* : Les enfants n’ont été inclus dans l’étude qu’à partir de 3 ans, comme en dessous « le protocole de l'étude était complexe pour les participants avec un recueil des urines pendant 14 jours et de cheveux. Ce type de recueil ne pouvait pas être proposé à des enfants de moins de 3 ans » indique Clémentine Dereumeaux.
** : Il s’agit de fongicides (cuivre, folpel…), herbicides (comme le glyphosate) et insecticides (pyréthrinoïdes).
Lancée en 2021, Pestiriv « n'avait pas d'objectif d'évaluation des risques sanitaires » précise le professeur Benoit Vallet, le directeur général de l'Anses. Photo : P.Sordoillet-ANSES.
« Le facteur qui influence le plus l'exposition reste les pratiques agricoles aux alentours des foyers » souligne Ohri Yamada, le chef de l'unité phytopharmacovigilance de l’ANSES. Photo : Frédérique Toulet-Anses.
« PestRriv, ce n'est pas refaire le match de l'évaluation des risques » des AMM prévient Matthieu Schulerle directeur général délégué des sciences pour l'expertise de l’ANSES. Photo : P.Sordoillet-ANSES.
Les prélèvements ont été menés dans les vignobles d’Alsace (communes de Ribeauvillé, Wettolsheim…), de Bourgogne (Chenôve…), de Beaujolais (La chapelle de Guinchay…), de Champagne (Blancs Coteaux, Dizy…), de Bordeaux (Avensan, Martillac, Saint-Laurent-du-Médoc…), du Languedoc (Armissan, Rochefort-du-Gard…), du Roussillon (Banyuls-sur-Mer…), de Provence (Cassis, Ramatuelle…) et de la vallée du Rhône (Gigondas).