l y a 25 ans, Michel Dupont-Fahn a quitté Meursault pour laisser le domaine familial à son fils et s’installer sur 10 hectares à Mudaison dans l’Hérault. Heureux un temps, le vigneron regrette désormais son choix. « Depuis 6 ans, mes parcelles sont envahies par des lapins de garenne résistants à la myxomatose. Ils décollent l’écorce du tronc de tous les ceps et les rongent jusqu’à les faire mourir », témoigne-t-il, amer. Une fois la sève bloquée, le feuillage jaunit et la vigne dépérit. « L’année prochaine je vais devoir abandonner 1,5 hectare de chardonnay ne produisant plus que 10 hl/ha contre 70 il y a 3 ans. J’ai également un viognier très mal en point, tout y passe, et les lapins ont réussi à traverser la nouvelle autoroute reliant Montpellier pour atteindre mes vignes plantées de l’autre côté, je suis désemparé. » Responsable commercial de la coopérative Agricole d'approvisionnement de Lunel, son conseiller Gaël Molard confirme l’ampleur du fléau entre Mauguio et Marsillargues. « Ces lapins a priori issus de croisements avec une espèce espagnole s’attaquent préférentiellement aux pommiers et pêchers dont ils raffolent mais se rabattent sur la vigne quand ils ne trouvent pas mieux à proximité. »
Malgré l’arrêté pris par le préfet de l’Hérault à Mudaison et dans onze autres communes* pour classer l’espèce comme nuisible susceptible de commettre des dégâts en 2023 et autoriser diverses mesures comme le piégeage toute l’année, l’élargissement des dates de chasse et l’utilisation de furets, rien ne semble pouvoir endiguer le problème. Michel Dupont-Fahn voit les chasseurs du coin « se régaler, tirer 40 lapins sur une matinée mais rien n’y fait, les populations se reproduisent beaucoup plus vite et pullulent. »
Le vigneron a lui tenté de protéger de nouvelles plantations avec des filets mais n’a pas été content du résultat. « Certains se sont fait grignoter. Et à 1,5€ par cep sur 4000 pieds par hectare, c’est un budget trop important pour des vins en pays d’Oc. » Pour Gaël Molard, seules des gaines très solides et accrochées au tronc sont efficaces. « Il faut protéger les jeunes plants comme les vignes adultes. Cela coûte très cher en équipement et en main d’œuvre dans un contexte économique viticole compliqué, mais c’est la seule solution pérenne pour sauvegarder l’outil de production », estime-t-il.
Les vignerons peuvent également disperser des répulsifs à base de goudron de pin. « Ils sont assez efficaces sur l’instant mais ne persistent pas dans le temps. Il faut en remettre tous les mois ou après chaque pluie. » Michel Dupont-Fahn a aussi vu certains collègues grillager des parcelles en faisant venir un tractopelle. « Mais c’est très gênant pour manœuvrer et suppose de creuser vraiment très profond pour empêcher les lapins de passer », rapporte-il.
Le vigneron aimerait pouvoir répandre des pellets de pindone autour de ses parcelles, « comme cela se fait en Australie ou en Nouvelle-Zélande », et regrette que l’empoisonnement soit interdit en France. « Il nous faudrait une dérogation ou une autre solution, qu’importe mais nous avons vraiment besoin d’aide ! supplie Michel Dupont-Fahn, constatant qu’avec la fin de l’arrachage primé, « beaucoup de viticulteurs envahis par les lapins n’ont d’autre choix que de laisser leurs vignes en friche, ce qui amplifie encore le phénomène. »
*Montpellier, Saint-Brès, Mauguio, Baillargues, Candillargues, Marsillargues, Lansargues, Saint-Aunès, Saint-Just, Saint-Nazaire-de-Pézan et Le Crès. Selon Renaud Lachenal, responsable technique du dossier dégâts de faune sauvage à la Chambre d’agriculture de l’Hérault, « le coût économique pour les communes touchés peut se chiffer à environ 1 million de pertes par an depuis 5 ans. »