’est ce qui s’appelle avoir les forces de ses faiblesses. Si les vins et spiritueux français sont incontestablement des piliers économiques, culturels et territoriaux pour la France et l’Europe, il ne semble pas que ce soient les pouvoirs publics nationaux et communautaires qui en aient le plus conscience, mais nos partenaires commerciaux. Sinon, comment expliquer le tel laisser-faire qui fragilise et expose de manière aussi inconsidérée et répétée la filière européenne aux pressions géopolitiques ?
Le cas d’école est celui de la Chine avec les cognacs et armagnacs : les prises de position publiques de membres du gouvernement pour taxer en Europe les importations de voitures électriques chinoises ont beau avoir été jugées intempestives dès 2023 par les opérateurs charentais qui ont alerté l’exécutif sur le risque qu’ils couraient. Et qui pointaient l’exemple des autres pays européens soutenant cette politique sans le dire pour que la décision soit communautaire et éviter des sanctions individuelles. Des alertes en vain. Quand l’enquête antidumping chinoise a été lancée en janvier 2024 visant les eaux-de-vie européennes, le gouvernement était rassurant : ce n’était que du bluff qu’il ne fallait pas prendre en compte. Quand la Chine a imposé des cautionnement des droits de douane de 38 % aux brandies européens en octobre 2024 (après l’application par Bruxelles de taxes sur les voitures chinoises), le problème est d’un coup devenu réel : l’impact a commencé à faire sentir. Car les mesures de rétorsion ciblent là où ça fait mal. Et les eaux-de-vie pèsent dans la balance commerciale française… C’est l’aloi du Talion.
Ce vendredi 4 juillet, le ministère du Commerce de la république populaire de Chine (MOFCOM) referme l’enquête antidumping avec l'annonce de 32,2 % de droits définitifs sur les brandies européens. Dégourdis, les opérateurs de Cognac et d’Armagnac se sont mobilisés pour trouver une solution temporaire via un accord de prix minimums avec le MOFCOM qui se substitue aux 32 % douaniers. Des conditions plus acceptables à défaut d'être idéales, ce qui peut soulager les exportateurs ayant pu valider ces accords. Car certaines entreprises en sont inexplicablement exclues : un point qui mobilise la filière pour que tous aient le même accès au marché chinois. Les exportateurs continuant de plaider pour un retour à la normale, alors que leurs ventes se sont déjà beaucoup dégradées. L'enjeu est de taille pour les vignobles charentais et gascons, mais aussi pour le reste du vignoble français où la perspective d’un flot de vins blancs sans destination fait craindre le pire. La situation étant potentiellement explosive alors que la vendange 2025 s’annonce, à date, d’une générosité normale en France et en Europe.
Les craintes sont d'autant plus vives qu’il y a d’autres risques commerciaux qui menacent l’export des vins et spiritueux. Ce 9 juillet, les États-Unis devraient établir une nouvelle politique de tarifs dits réciproques. Mêmes temporaires, les +50 % évoqués par Donald Trump ne sont pas impossibles, alors qu’ils imposeraient un embargo sur les bouteilles françaises sur le premier marché de consommation de vin au monde. Si la filière est embarquée dans des conflits diplomatiques qui lui sont extérieurs, les experts du gouvernement critiquent de manière récurrente l’exposition et la dépendance des opérateurs vitivinicoles aux marchés américains et chinois. Un reproche facile après coup, qui doit imposer de soutenir la conquête de nouveaux marchés et la préservation de ceux existants par la négociation de bons accords de sortie de crise pour une filière capitale. « Ce qui fait que l'on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu'ils abandonnent presque toujours l'intérêt de leurs amis pour l'intérêt du succès de la négociation, qui devient le leur, par l'honneur d'avoir réussi à ce qu'ils avaient entrepris » prévient La Rochefoucauld dans ses Réflexions ou sentences et maximes morales (1664)