our Jérôme Mader, vigneron alsacien à Hunawihr « ça a commencé en 2018. Un peu après la naissance de notre deuxième enfant, un matin, au petit-déjeuner, je me suis mis à pleurer en pensant au monde en ruines qu’on allait lui laisser. » Aujourd’hui, il va beaucoup mieux, et il témoigne ouvertement sur son éco-anxiété dans la presse régionale. « C’est moins l’avenir de notre exploitation qui m’inquiète que le sort de l’humanité. J’ai fait sans doute une petite dépression… Mais je n’ai pas de diagnostic précis, j’avais autre chose à faire… »
Le nouveau rapport de l’ADEME a mesuré que 15 % des Français sont aujourd’hui moyennement éco-anxieux, 10 % fortement ou très fortement éco-anxieux, et 1% présenteraient des risques psycho-pathologiques procédant de cette éco-anxiété.
« Aucune catégorie sociodémographique n’est épargnée par l’éco-anxiété », dit le rapport. Mais certains groupes sont plus concernés que d’autres : les femmes plus que les hommes, les diplômés, les habitants de grandes agglomérations, les personnes sensibles aux questions environnementales… Mais le groupe "le plus éco-anxieux" de tous est celui des agriculteurs. Un résultat à prendre comme un simple indice, car l’échantillon est trop petit pour en tirer une analyse globale. « Mais ça reste un sujet explosif », souligne Pierre-Eric Sutter, rapporteur de l’étude, convaincu que le sujet mériterait d’être creusé pour ces professions en "première ligne" face au dérèglement climatique.
Les symptômes à surveiller : ne pas dormir la nuit et s’isoler
En attendant, comment reconnaître l’éco-anxiété ? L’éco-anxiété est définie par les chercheurs comme une détresse psychologique (mal-être) découlant des inquiétudes face à la crise environnementale. « C’est normal d’être inquiet face à un problème grave ou qui nous tient à cœur, explique le chercheur. Mais il peut y avoir un glissement, on bascule d’une peur avec objet à une peur sans objet. On a peur de la peur. C’est une anxiété d’anticipation. C’est avoir peur pour ses enfants qui ne pourront pas vivre dans un monde sans eau, par exemple. Ce genre de propos indique que la personne bascule… »
Les symptômes à surveiller selon le chercheur : « Ne pas dormir la nuit et s’isoler. C’est un signe que ça devient chronique. » Et les signes avant-coureurs : « Quand on voit un éco-anxieux se focaliser sur un sujet. La fonte de la banquise, par exemple. Il n’y peut rien à titre individuel, mais il va vouloir agir.»
Cette anxiété a des vertus, « elle confère aux personnes une vision plus clairvoyante, ils deviennent experts, et sont extrêmement motivés pour bouger. Ce sont les éco-ambassadeurs de la transition. » Mais l’éco-anxiété peut aussi déclencher une dépression, explique Pierre-Eric Sutter. « Donc l’invisibiliser, ça a des conséquences, et c’est à surveiller comme le lait sur le feu. »
Le déni, la tristesse, la colère… et l’action
A Cornas, la vigneronne Laure Colombo (domaine de Lorient) a « appris à vivre avec cette éco-anxiété » depuis au moins 15 ans. Avec le recul, elle explique avoir traversé plusieurs phases, « un peu comme un deuil ». Le déni, « qui n’a pas duré très longtemps », puis la tristesse, « un sentiment d’impuissance, un pessimisme ». « Quand j’ai eu mes enfants, je disais que j’étais climato-dépressive. Pour moi, on allait droit dans le mur.»
Puis Laure Colombo est passée à « la colère ». « Contre tout le monde. Ça donne envie de changer les choses. » Est née de cette énergie une commission viti-écologie à Cornas. Mais aussi un changement de pratiques dans ses vignes, pour améliorer la robustesse de son système. « L’éco-anxiété s’est transformée en moteur. »
Même son de cloche en Alsace chez Jérôme Mader. « Ce qui a permis de soulager mon anxiété, c’est de me mettre en accord avec mes convictions. » Isolation de la cave, panneaux photovoltaïques, fin des piquets en métal, bilan carbone, fin de l’avion et de la chaudière fioul… « Je suis très informé, sur ma table de chevet, il n’y a que des bouquins sur l’écologie. »
Après toute cette agitation, peut néanmoins survenir le « 2e coup de mou », comme l’explique Laure Colombo. « On a mis plein de choses en place, mais on a réalisé que faire un petit ilot ne suffisait pas. » La réponse lui est alors apparue : « Le collectif ». Elle s’est engagée à la Confédération Paysanne de l’Ardèche, majoritaire à la Chambre d’Agriculture. « Pour limiter l’éco-anxiété, la solution c’est aussi de s’extraire de l’échelle mondiale et de revenir à son territoire, où on a la possibilité d’agir. Ça fait du bien. »