lle est devenue la préoccupation n°1 en Corse. Devant les maladies du bois et la flavescence dorée. Jacobiasca lybica, la cicadelle africaine focalise aujourd’hui toute l’attention de la profession. Car cet insecte est déjà bien installé sur l’île où il peut en quelques jours cramer tout le feuillage d’une vigne et anéantir sa récolte. Cette année, techniciens et chercheurs déploient donc les grands moyens pour surveiller les populations, appréhender le cycle du ravageur et trouver des méthodes de lutte au sein d’un groupe de travail piloté par l’IFV et la DGAL.
En Corse, les techniciens ont installé des pièges jaunes sur 11 sites pour dénombrer les captures chaque semaine. « Le problème est qu’il est impossible de distinguer à l’Å“il nu la cicadelle africaine Jacobiasca lybica de la cicadelle verte Empoasca vitis », précise Gilles Salva, directeur du pôle végétal au CRVI de Corse. Seule une observation en laboratoire permet de distinguer les deux. Sans compter qu’une troisième espèce : la cicadelle italienne Zygina rhamni peut également être présente, ce qui complique encore plus les choses.
Sur six de ces sites, les techniciens prélèveront des cicadelles - via des aspirations du feuillage -qu’ils enverront à l’Areflec (Association de recherche et d'expérimentation sur fruits et légumes en Corse) pour identification, l’un de leur scientifique ayant étant formé à la reconnaissance de Jacobiasca. « L’objectif est d’appréhender la dynamique des populations », explique Gilles Salva. Mais aussi de voir à partir de quel moment la cicadelle verte présente, plutôt en début de saison, cède le pas à Jacobiasca lybica qui apparaît plus tardivement.
« On souhaite déterminer le point de bascule qui correspondrait au moment le plus opportun pour déclencher la protection », ajoute Eric Chantelot, expert national de la protection des plantes à l’IFV. Car selon lui, l’an passé, les viticulteurs ont démarré la lutte trop tôt « en mai dès l’apparition des premières cicadelles alors que nous supposons que Jacobiasca n’apparaît que fin juin-début juillet. Mais on avance avec prudence », explique-t-il.
Dans le Var et les Pyrénées-Orientales, où la cicadelle a débarqué l’an dernier provoquant de premiers dégâts, les techniciens ont également installé des pièges dont certains dans des secteurs où Jacobiasca n’a pas encore été identifiée pour suivre sa progression. « On ferra 5 relevés dans la saison à des stades clés de la préfloraison à la postrécolte », précise Eric Noémie, de la chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales. Dans une vingtaine de parcelles, les techniciens regarderont s’il y a des symptômes et si c’est le cas noteront leurs évolutions au fil de la saison sur une échelle de 1 à 7 selon leur gravité et feront un prélèvement de cicadelles par aspiration pour qu’elles soient identifiées.
A la différence de la Corse, la cicadelle verte est peu présente dans les Pyrénées-Orientales. « Le protocole de suivi ne prévoit pas forcément de comptages de larves. Mais si dans une parcelle on voit plus d’une cicadelle par feuille et que leur nombre augmente de façon exponentielle, on aura peu de doute sur le fait que l’on aura affaire à Jacobiasca », indique Eric Noémie.
Reste à savoir quand et comment protéger les vignes. Pour l’instant, il n’existe aucun protocole validé. Certains pensent qu’il faut démarrer la lutte lors de la découverte des premiers insectes. « L’apparition des tous premiers symptômes pourrait être un autre facteur de déclenchement des interventions », précise Eric Chantelot.
Encore faut-il avoir des solutions efficaces. Et sur ce point-là tout le monde tâtonne. L’an passé, beaucoup de vignerons ont eu recours à l’argile « Mais à elle seule elle ne limite pas les dégâts », précise Gilles Salva. Les vignerons ont donc eu aussi recours à des insecticides classiques ou au Limocide en bio. Mais là encore sans trop de succès. Les conventionnels ont pu utiliser Exirel, un insecticide à base de cyatraniliprole, qui a bénéficié d’une dérogation de 120 jours pour lutter contre Jacobiasca. D’après les premières remontées de terrain, il serait plus efficace que les pyréthrinoïdes de synthèse car doté d’une plus grande persistance d’action. Mais il est aussi beaucoup plus cher « 150 à 200 €/ha», précise Gilles Salva. Sans compter « qu’en cas de forte attaque un traitement ne suffit pas et il en faudrait au moins 3 ou 4», poursuit Gilles Salva. Mais seuls deux ont été autorisés l’an passé.
Pour en avoir le cÅ“ur net, le ministère de l’Agriculture (DGAL) met en place des essais BPE sur le continent pour mesurer l’effet choc et la rémanence d’un pyréthrinoïde, d’Exirel et de Neemazal, un produit autorisé en bio à base d’azadirachtine. Sachant que pour Exirel une nouvelle demande de dérogation de 120 jours a été faite cette année. Ainsi que pour Neemazal. Mais fin juin, celles-ci n’avaient pas été accordées. Les techniciens vont également suivre des essais de valeur pratique chez des vignerons. Ils ne lésinent pas sur les moyens…
En Corse, en Balagne le Centre de recherche viticole de Corse (CRVI) suit un essai avec des filets d’ombrage. « On s’est aperçu qu’il y a moins d’attaques sous les filets. On aimerait le mesurer précisément cette année. Cela semble une piste intéressante à explorer », souligne Gilles Salva.Le technicien aimerait également travailler sur la confusion vibratoire. Car chez les cicadelles, lors de l’accouplement mâles et femelles communiquent par des vibrations et non des phéromones comme chez les tordeuses. « On espère démarrer des essais l’an prochain ».