n 2024, « le marché des vignes reflète la crise que traverse la filière viticole. Cela se voit surtout au niveau des prix [qui baissent dans plusieurs bassins, ndlr], pas trop côté volumes échangés », note Loïc Jégouzo, adjoint au directeur du service études, veille et prospective à la FNsafer. En 2024, la Fédération des Safer a enregistré 8 650 transactions (- 1,4 % vs 2023). 16 000 ha ont changé de main, soit autant qu’en 2023. La valeur totale des échanges s’élève à 1,11 milliard d’euros, en baisse de 4,8 %. Toutefois, les situations sont très contrastées d’un bassin à l’autre avec des prix qui chutent dans les vignobles méridionaux, à Bordeaux et à Cognac, alors qu’ils restent stables en Champagne et progressent même en Bourgogne. Le point avec les experts de la Safer.
En Alsace, 194 ha de vignes se sont échangées en 2024, soit une surface à peu près équivalente à celle de 2023. De même, le prix moyen est resté stable à 117 000 €/ha (- 0,7 % vs 2023). Une stabilité qui cache deux évolutions contraires : une hausse de 9 % dans le Bas-Rhin à 99 000 €/ha et une baisse de 6 % dans le Haut-Rhin à 130 000 €/ha de moyenne. Les grands crus et les lieux dits sont toujours recherchés. À l’inverse, les vignes les moins rentables, situées en plaine ou en zones séchantes, comme dans la Hardt de Colmar, sont délaissées.
« Actuellement, beaucoup de transactions n’aboutissent pas. Il y a un afflux d’offres mais, en face, des opérateurs prudents qui tentent de négocier les prix à la baisse, ce que les vendeurs n’acceptent pas », observe Olivier Baranski, directeur opérationnel à la Safer Grand-Est qui s’attend à une chute du marché cette année. Autre phénomène qui l’alerte : l’émergence de friches dans le vignoble, même si cela reste marginal.
En AOC Beaujolais et Beaujolais-villages rouge, seules les parcelles restructurées et mécanisables trouvent preneurs à des prix oscillants entre 7 000 et 11 000 €/ha. Les parcelles de chardonnay sont largement plus convoitées, surtout celles situées sur des sols calcaires dans le Beaujolais du Sud où les prix tournent autour de 40 000 €/ha. Quant aux crus, ils séduisent toujours et leurs prix restent globalement stables.
Dans le Bergeracois, des nombreux biens sont à vendre. Mais les vignes de Bergerac rouge ne trouvent pas d’acheteurs. « L’an passé, on n’a fait que quelques ventes. Et cette année, on n’en a pas vendu, sauf lorsqu’elles faisaient partie d’un lot. Aujourd’hui, les transactions portent sur des parcelles de Monbazillac et de blanc sec », observent Stéphanie Gressier, directrice départementale de la Dordogne, et Simon Morvan, conseiller foncier. Résultat, les prix sont au plus bas : de 6 500 à 7 000 €/ha pour le Bergerac rouge (- 22 %), soit « le prix des terres nues ». En Bergerac blanc, les vignes s’échangent autour de 7 500 €/ha (- 21 %). En Monbazillac, le prix moyen s’établit à 14 000 €/ha (- 7 %)
« En Gironde, la baisse concerne désormais l’ensemble du vignoble », pose Loïc Jégouzo. L’appellation Bordeaux poursuit sa chute pour atteindre 8 000 €/ha pour les rouges (- 11 %), les blancs (- 33 %) et les Côtes : Blaye Côtes de Bordeaux, Côtes de Bourg, Castillon et Francs Côtes de Bordeaux. Les prix chutent également de 44 % en AOC Médoc (14 000 €/ha) et de 20 % en Haut-Médoc (40 000 €/ha). « Le marché de ces deux appellations est atone en raison d’une demande extrêmement rare qui ne répond plus à l’offre pléthorique de biens à la vente », souligne la Safer.
Les appellations communales du Médoc sont entraînées dans la tourmente. À Listrac, les prix chutent de 50 % (20 000 €/ha) et à Moulis de 43 %. Signe que les temps sont durs : même les AOC les plus prestigieuses, jusque-là épargnées, voient leur prix baisser : — 17 % à Pauillac (2,5 M€/ha) et — 7 % à Margaux (1,4 M€/ha).
Dans le Libournais, « les acquéreurs jugent les prétentions des vendeurs déconnectées de la réalité économique », précise la Safer. À Saint-Émilion, la dominante est à 250 000 €/ha, « mais cette valeur a peu de sens dans cette appellation qui connaît les plus forts écarts », souligne la Safer ajoutant que, dans les terroirs les moins attractifs, les quelques transactions se sont faites autour de 150 000 €. Les satellites s’effondrent avec des prix qui perdent 50 % pour s’établir à 25 000 €/ha à Lussac et 35 000 € à Puisseguin. Là encore, l’offre est trop importante pour les rares acheteurs.
En Côte-d’Or, en 2024, « il y a eu une légère ouverture du marché qui reste confidentiel », indique Sébastien Richard, le directeur départemental. La Safer a ainsi enregistré 138 ventes notifiées par les notaires pour 88 ha environ. « On est dans le haut de la fourchette du nombre de transactions, celles-ci se situant habituellement entre 130 et 140. » Le lot moyen est de 50 à 60 ares. « On reste sur des petites ventes, observe-t-il. Et la plupart portent sur des parcelles occupées. Les ventes de parcelles libres sont extrêmement rares et très concurrentielles avec 20 à 25 candidats, voire plus, quand il y en a une. »
Les prix sont à nouveau en hausse, mais celle-ci ralentit sur les AOC régionales avec une dominante à 57 200 €/ha (+ 2 %). Les premiers crus sont toujours très recherchés, surtout les blancs qui dépassent les 2,5 M€/ha (+ 13 %).
Marché fermé également dans l’Yonne avec seulement 33 ventes totalisant 14 ha en 2024, principalement en Chablis où le prix de 245 000 €/ha est en hausse de 20 %. En Saône-et-Loire, le marché est un peu plus ouvert et plus accessible. Les parcelles de Mâcon blanc se valorisent à 75 000 €/ha, soit une hausse de 7 % ; celle de Bourgogne aligoté à 35 000 € (+ 17 %). « La forte demande en Aligoté, notamment pour les crémants, tire les cours du vin et crée de la demande sur le marché foncier des parcelles qui peuvent être plantées », note la Safer
2024 est marquée par un recul du marché en volume. « Il y a moins de demandes. Les acheteurs sont prudents. Les Maisons de Champagne qui subissent un fort recul de leurs expéditions ont revu à la baisse leurs ambitions d’acquisition de foncier ; les vignerons aussi, mais dans une moindre mesure », analyse Olivier Baranski, de la Safer Grand-Est. Toutefois, cela n’a pas eu d’impact sur les prix qui ont « sagement » progressé de 2 % sur l’ensemble de la Champagne. Ceux-ci démarrent à 850 000 €/ha dans l’Aisne et grimpent jusqu’à 1,8 M€ en grand cru dans la Côte des Blancs, la moyenne de l’appellation étant à 1,2 M€.
Comme les expéditions continuent de fléchir, « je ne serais pas surpris qu’il y ait une baisse des transactions, voire une pression sur les prix », pronostique Olivier Baranski. Phénomène nouveau : « Dans les secteurs officiellement touchés par la flavescence dorée, il est plus compliqué de vendre des vignes. Début 2025, des achats ont été négociés à la baisse à cause de la maladie. C’est quelque chose qui n’existait pas jusqu’alors. »
À Cognac, le nombre de transactions a baissé et le phénomène s’amplifie. « Actuellement, les ventes sont presque à l’arrêt. Seul le petit parcellaire se vend. Des acheteurs saisissent des opportunités au coup par coup », expliquent Sylvie Massacré et Alexandre Arnaud. Les négociations sont vives avec les acquéreurs potentiels. Côté prix, « depuis le début de la crise il y a deux ans, ils ont été divisés par deux en Charente-Maritime. Au début, la baisse a été lente et progressive puis elle s’est accélérée fin 2024 début 2025. Les vignes se négocient aujourd’hui entre 20 000 et 30 000 €/ha en moyenne contre 50 000 à 80 000 € il y a trois ans. Le cru Bons Bois se négocie entre 15 000 et 20 000 € et Petite Champagne et Borderies jusqu’à 35 000 €. Les vignes sans contrat sont quasi invendables », note Alexandre Arnaud. En Charente, « la baisse est un peu moindre car on n’a jamais dépassé 65 000 €/ha, au plus haut du marché. Actuellement, les prix varient de 20 000 €/ha en Bon Bois à 35 000 € en Grande Champagne et en Borderies ». Et les experts craignent une hausse de l’offre avec les départs à la retraite et les fermiers qui dénoncent leur bail.
La Safer n’a enregistré que deux transactions en 2024 et ces ventes « ne reflètent pas la valeur vénale des vignes », souligne-t-elle. En l’absence de référence, le prix des vignes s’établit à dire d’expert.
Dans la région, les aléas climatiques (grêle, sécheresse) se sont ajoutés à la mévente des vins. Le marché des vignes s’en ressent avec un recul du nombre de transactions, des surfaces échangées et de leur valeur. D’ailleurs, dans plusieurs secteurs, la Safer n’a pas pu établir de prix faute d’échanges. C’est le cas pour les vignes sans IG de l’Aude et du Gard et les vignes en IGP de l’Aude.
Dans l’Hérault, le prix des vignes sans IG a reculé de 7 % (14 000 €/ha). Pour les IGP, les prix baissent de 6 % dans l’Hérault (16 000 €/ha) et restent stables dans le Gard (14 000 €). L’AOC Languedoc baisse de 3 % dans l’Hérault (15 000 €/ha), de 8 % dans l’Aude (12 000 €) et de 9 % dans le Gard (14 500 €). Dans l’Hérault, Picpoul (+ 3 % à 34 000 €), Pic Saint-Loup (stable à 75 000 €/ha) et Terrasse du Larzac (stable à 27 000 €) restent des locomotives et continuent d’attirer des acheteurs, à l’instar de la cave de Sancerre qui a acquis le Domaine de Petit Roubié en AOC Picpoul.
Dans l’Aude, en appellations Cabardès, Malepère, Corbières et Corbières-Boutenac, La Clape et Limoux, les prix sont stables ou en légère baisse. À Fitou, la situation est plus délicate. Dans les Pyrénées-Orientales, les prix baissent en Maury, Rivesaltes et Grand Roussillon, mais progressent légèrement à Banyuls ou Collioure. « Une forte dichotomie s’opère en fonction du potentiel d’irrigation. Des transactions importantes sur les secteurs irrigables sont réalisées pour la réorientation vers une production arboricole », note la Safer.
En 2024, la Safer du Var a traité 272 rétrocessions pour 1 223 ha. « L’activité a été un peu dopée par la vente du vignoble Ravel (280 ha de vignes) au domaine Sainte-Marguerite. Si l’on extrait ce dossier, le marché est comparable à 2023 », observe Christophe Campanelli, le directeur départemental. Mais en ce début d’année, le vent tourne. « Il y a quelque temps, toutes les parcelles se vendaient. Pour les belles opportunités, il y a toujours des acheteurs. Mais pour les vignes en moins bon état, c’est plus difficile », précise l’expert. Même prudence pour les ventes de domaines. Pour l’heure, cette situation n’a pas d’impact sur les prix. Les vignes en Côte de Provence situées sur le littoral s’échangent toujours entre 80 000 et 120 000 €/ha alors que, dans les terres, elles se négocient entre 40 000 et 70 000 €/ha. « C’est la fin de l’envolée. On est au sommet de la vague et on n’a pas encore amorcé de descente », assure Christophe Campanelli
Dans le Gers, « le marché des vins blancs est stable, voire en croissance », souligne Nicolas Poulhalec, de la Safer Occitanie. Les vignes en Côte de Gascogne se négocient entre 7 000 et 20 000 €/ha selon leur état. En raison des aléas climatiques, des viticulteurs ont manqué de volumes et perdu des marchés. « Pour faire entrer de la trésorerie, certains ont arraché des vignes dans des couloirs de grêle puis vendu ces parcelles en terre nue », rapporte l’expert.
À Cahors, les prix baissent d’environ 10 % avec une dominante à 11 500 €/ha. En 2024, le vignoble a été frappé par les aléas climatiques (gel) pour la troisième année consécutive. « Dans les terroirs les plus gélifs, les vignes ont été arrachées, mais dans les plus qualitatifs, elles intéressent toujours les investisseurs », note l’expert.
À Gaillac, dans le Tarn, la dominante est à 8 500 €/ha, soit une « baisse limitée » de 6 %. « Beaucoup de porteurs de projet nous sollicitent pour des installations », observe Nicolas Poulhalec.
Dans l’Aveyron, le marché est en croissance. Les plus belles parcelles de Marcillac se négocient entre 22 000 et 26 000 €/ha et bénéficient « de la concurrence de plusieurs porteurs de projet », note-t-il.
2024 est marquée par une baisse du nombre des transactions sur l’ensemble du bassin. Dans le Loir-et-Cher : — 14 % en Touraine (12 000 €/ha), — 20 % en IGP et en VSIG à 4 000 €/ha ; dans le Maine-et-Loire : — 23 % à Saumur (24 000 €/ha), — 21 % à Saumur-Champigny (55 000 €/ha), — 5 % en Anjou et Anjou-villages (19 000 €/ha), — 4 % en Coteaux du Layon (22 000 €/ha), etc.
D’autres AOC continuent de séduire comme Reuilly, dans l’Indre, dont le prix augmente de 27 % à 90 000 €/ha, porté par la demande de jeunes viticulteurs. En Indre-et-Loire, la bonne santé des bulles explique la hausse de 8 % à Montlouis-sur-Loire (14 000 €/ha) et de 4 % à Vouvray (26 000 €/ha).
En Pays nantais, l’arrachage des parcelles gélives conjugué au regain d’intérêt pour l’appellation Muscadet permet un maintien des prix à 7 000 €/ha.
La crise des vins rouges se ressent nettement sur le foncier. Dans le Gard, il y a très peu de marché pour les vignes en appellation Côtes du Rhône. « La dominante est à 14 500 €/ha, un chiffre stable par rapport à 2023 mais avec des écarts allant de 9 000 à 18 000 € contre 9 000 à 22 000 € en 2023 », note Nicolas Poulhalec, de la Safer Occitanie. Dans le Vaucluse, le marché est à peine plus actif. « Les opérateurs ne prennent pas de risque », constate Fabrice Triep-Capdeville, de la Safer départementale, qui indique une dominante à 20 000 €/ha en baisse de 13 %. Et selon l’expert, cet attentisme commence à gagner les Côtes du Rhône-villages et même les crus.
Pour les villages, il y a des disparités. À Plan-de-Dieu ou à Séguret, le marché est resté dynamique en 2024. Du foncier s’est libéré qui a trouvé preneur et les prix sont restés stables. « Mais pour les nouvelles libérations de 2025, les acquéreurs ne sont plus là et les vignes plus difficiles à vendre. » À Sainte-Cécile, où le marché est animé par les coopérateurs, il y a des offres, mais pas d’acquéreurs malgré des prix en baisse.
Dans les crus, les prix sont restés globalement stables : 100 000 €/ha à Vacqueyras ; 220 000 € à Gigondas et 520 000 € à Châteauneuf-du-Pape. « À Châteauneuf-du-Pape, les petites parcelles inférieures à 5 000 m2 trouvent toujours preneur mais, pour les plus grandes, le prix est un frein », souligne l’expert, qui note aussi une baisse du nombre de candidats.