ncore un joli mois de « mais » pour le sauvetage économique du vignoble et de ses entreprises ? De « mais » faisant reculer la prise de conscience que le cumul des crises conjoncturelles (climatiques, économiques, géopolitiques…) vire aux déséquilibres structurels à l’échelle de toute la filière et de chacune de ses entreprises toujours plus fragilisées (pour certains vignerons après des années à piocher dans les réserves sans se rémunérer) et soumises aux risques croissants de défaillances (en témoigne la nouvelle augmentation des procédures collectives ce début 2025). On entend pourtant toujours des « mais » pour reculer le diagnostic économique face à la peur d’un verdict public en forme d’échec stratégique.
Des « mais ça va le faire, comme ça l’a toujours fait en retardant au maximum les factures et en oubliant les diverses relances de cotisations. Mais ça va finir par payer d’attendre, comme tout le monde arrache. Mais le marché va finir par reprendre, comme les petites récoltes s’enchaînent et qu’il se vend encore du vin malgré tout. Mais l’outil de production tient le coup même si le prix de vente ne permet pas de tenir les coûts. Mais… » pourquoi ne pas sortir de cette zone de confort qui vire à l’inconfort le plus total ? Surtout au début d’un millésime dont il vaut mieux anticiper les coûts de production en allégeant le poids des dettes si l’on ne veut pas subir une brutale cessation de paiements hypothéquant le rebond à force d’avoir été trop reportée.
Se remettre en question n’est jamais un exercice agréable, mais pour un dirigeant c’est une exigence purement professionnelle et non une remise en cause personnelle. Si le pro et le perso sont intimement liés dans un vignoble à dominante familiale, il n’y a pas de honte inavouable ou de regret injustifiable à reconnaître des difficultés insurmontables. Qu’on se le dise, dans le vignoble tout semble désormais possible, et ce pour tout le monde. La tension économique monte partout, les prix de revient dépassant les prix de vente pour nombre de domaines.
En témoigne le vignoble de Bordeaux, où les déficits de ventes et de trésoreries ne touchent pas que les vracqueurs : les grands crus classés ne sont plus épargnés, cela se voit concrètement alors que des lots sont vendus à bas prix et qu’il y a du choix de domaines à la vente… Les coûts de production augmentent, la valorisation ou les ventes non : les pertes chiffrent d’autant plus vite que l’on était habitué à gagner. L’effet ciseau est d’autant plus fort et violent pour les domaines, petits ou grands, ayant coché toutes les cases porteuses pour l’avenir avec un endettement les étranglant désormais. C’est l’injuste prix à payer des propriétés ayant investi dans le vignoble pour la transition agroécologique, la cave pour la modernisation des profils, la commercialisation pour diversifier les marchés ou l’accueil des touristes pour augmenter les marges…
Pour tenir, il n’y aura pas de miracles, il faut oser se saisir des outils à disposition tant qu’il est temps. Qu’il s’agisse d’aides de crise ouvertes (prêts de consolidation, fonds d’urgence pour les jeunes viticulteurs…) ou à venir (fonds d’urgence pour les pépiniéristes viticoles et restructuration des caves coopératives…), ainsi que des procédures possibles (mandat adhoc, mise en sauvegarde par l tribunal ou placement en redressement judiciaire). Après des millésimes acharnés à défendre pied à pied l’expression de son terroir, le combat viticole mérite d’être mené jusqu’au bout et en bas de bilan comptable. Pas de moralisation ici, mais un appel à ne pas céder à l’abattement et à garder l’envie d’avoir en vigne. « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède » plaide Jean-Jacques Rousseau dans Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761).