’est un indemnité de départ qui ne laisse pas indemne la cave coopérative de Buzet (Lot-et-Garonne). Les 150 000 euros d’accord transactionnel et 308 000 € d’acquis salariés réclamés par son ancien directeur, Pierre Philippe, depuis son licenciement économique le 26 janvier 2024*, seraient à l’origine de l’ouverture de la procédure de sauvegarde ouverte par la coopérative le 12 juin 2024 d’après ce qu’indique la cave à ses adhérents. Contactés, les Vignerons de Buzet et leur avocat n’ont pas donné suite. Portée devant les prud’hommes, cette demande de 477 789,67 € d’indemnités constituerait la créance de trop pour la coopérative, qui ne l’a pas réglée directement. Et a été attaquée par Pierre Philippe devant les référés du Conseil de prud’hommes le 22 mai 2024, commençant une vraie partie de ping-pong judiciaire.
Calendrier judiciaire
Le conseil de prud’hommes a radié l’affaire le 13 juin, au lendemain de l’annonce par le tribunal de commerce d’Agen de la mise en sauvegarde. Ce qu’a contesté Pierre Philippe le 20 juin, qui obtient gain de cause le 5 septembre avec une ordonnance de référé estimant que le conseil de prud’hommes est compétent pour juger la chose et fixer la somme au passif comme « la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 prévoit que les instances prud'homales en cours du jugement d'ouverture d'une procédure collective ne sont pas interrompues, mais poursuivies de plein droit, quelle que soit la procédure mis en œuvre ». Une décision attaquée par les Vignerons de Buzet et son administrateur judiciaire le 24 septembre. Ce premier avril, la chambre sociale de la Cour d’appel d’Agen leur donne raison : « l'article L.622-21, I, du Code de commerce interdit toute action en paiement d'une somme d'argent de la part du créancier dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture » et « l'instance ne peut alors tendre qu'à la fixation de la créance au passif de la procédure collective ».
Plus précisément, « seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire. Or, la provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'est par nature qu'une créance provisoire et ne peut donc faire l'objet d'une telle fixation » indique la juridiction, ajoutant qu’« en conséquence, l'ouverture de la procédure collective rend irrecevable la demande tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ». En somme, un coup d’arrêt procédural : un juge des référés n’a pas la compétence pour fixer une créance dans la circonstance d’une procédure collective. Contactés, Pierre Philippe et son avocat ne souhaitent pas commenter. Mais confirment qu’il n’y a pas de pourvoi en cassation et expriment le désir d’en finir rapidement avec ce dossier.
10 à 15
Pour Buzet, cet arrêt semble avoir été accueilli avec soulagement. L’incompétence déclarée des référés du conseil de prud’hommes transforme les 480 000 € en créance arbitrée dans un plan de continuation par le juge-commissaire suivant le redressement. De quoi faire espérer à certains que la somme soit réduite très fortement (de 10 à 15 % entend-on) et étalée dans le temps (10 à 15 ans). En l’état, l’arrêt de la cour d’appel ne prononce par la nullité de la créance. Mais les Vignerons de Buzet semblent remettre en cause l’origine même de l’accord transactionnel à l’origine de ces indemnités.
Lors de la procédure en appel, la cave indique que « les circonstances attachées à la signature de cette documentation et du protocole transactionnel en date du 9 février 2024 dont se prévaut Pierre Philippe font l'objet d'investigations dans le cadre de la procédure collective, au même titre que nombre d'opérations financières ayant conduit à la situation actuelle de la SCA Les Vignerons de Buzet » avec plus de 36 millions € de dettes. S’appuyant sur un rapport du cabinet de conseil Advance Capital, la coopérative rapporte notamment que « les conditions de rachat de la société Rigal, opéré sous l'égide de Pierre Philippe, a contribué à alourdir l'endettement du groupe (4 millions € d'emprunts par la Financière d'Albret et 3,1 millions € d’apport en compte courant de la SAS Vignerons de Buzet) » alors que « l'activité commerciale de Rigal [a été] achetée pour un montant six fois supérieur à sa valeur réelle ». Restant en creux, ces accusations semblent particulièrement graves, mais ne semblent pas avoir débouché sur une procédure pénale à date.


La seule réaction de Pierre Philippe rapportée par la Cour d’appel consiste à déclarer que « les affirmations des appelants sont calomnieuses. Sa responsabilité n'est pas mise en cause dans le rapport d'Advance Capital produit par les appelants. Il n'était pas mandataire social mais l'exécuteur des décisions du directoire sous le contrôle du comité de surveillance. » La suite au prochain épisode, annoncé pour le 13 mai et l'étude par le tribunal de commerce du plan de sauvegarde de Buzet. Comme le rapporte le Sud-Ouest, tout est suspendu aux négociations avec les créanciers, au premier rang desquels se tient le Crédit Agricole (avec des prêts qui avoisinent 20 millions €). En dépend notamment l'accord avec Grands Chais de France pour la reprise des activités commerciales et de conditionnement des Vignerons de Buzet (qui seraient transférées à Landiras, en Gironde).
* : Engagé le 18 juin 2005, Pierre Philippe a quitté l’entreprise le 30 avril 2024.