orsqu’en avril 2022, Elisabeth Besnard, œnologue chargée d’expérimentation à la ferme départementale d’Anglars-Juillac près de Cahors installe sur trois rangs de Malbec un filet anti-grêle Texinov, elle était loin d’imaginer tous ses bienfaits sur la vigne. « Le 23 juin, un orage de grêle s’est abattu sur le coteau. Les dégâts sont considérables, mais sous le filet, 90 % de la récolte est épargnée. C’était spectaculaire », se souvient-elle.
Mais une surprise encore plus grande l’attend : l’impact du filet sur les attaques de mildiou. « Fin août, sous le filet, 25 % des feuilles et 80 % des grappes étaient touchées par le mildiou. Alors que sur le reste de la parcelle, la pression de l’année était telle que 100 % des feuilles et 100 des grappes présentaient des symptômes. Visuellement, c’était flagrant. Deux possibilités : soit le filet a un effet déperlant qui empêche la pluie d’atteindre les feuilles, soit les phytos s’accumulent davantage en dessous. »
Pour en avoir le cœur net, l’année suivante Elisabeth Besnard fait des essais de pulvérisation avec un produit fluorescent pour étudier la diffusion du produit au travers du filet. « La pulvérisation est finalement peu modifiée : les impacts de bouilles sur les feuilles sont les mêmes avec ou sans filet. C’est parce que la pluie ruisselle sur le filet que les dégâts de mildiou sont moindres », conclut-elle.
En Champagne également les filets sont à l’étude. « Un premier essai mené en 2024 sur des pieds de meunier traités classiquement et de Voltis non traités a révélé moins de symptômes sous les filets. Alors qu’on était dans une année de forte pression, on a observé moins de taches sporulées sur feuilles sous les filets, ce qui est intéressant dans le cas du Voltis non traité pour protéger ses gènes de résistance au mildiou », rapporte Baptiste Van Gysel, chargé d’études expérimentation viticole au Comité Champagne.
Luc Duclaux, vigneron à Talencieux en Ardèche, a installé ses premiers filets anti-grêle Alphatex, Texinov et Filpack, avec son frère Marc en 2018. « Aujourd’hui, sur nos 22 hectares en AOC Saint-Joseph, la moitié est emmaillée. Nous avons installé ces filets pour leur indication première. Mais les années de forte pression fongique, comme 2022 et 2023, on s’est aperçu qu’ils ont également un impact sur le mildiou. En fin de saison, sous le filet, le feuillage est moins brûlé qu’à l’extérieur ». Le vigneron suppose que les filets ont un effet anti-splashing, empêchant la vigne d’être éclaboussée par des gouttes de pluie chargées d’œuf de mildiou après être tombées au sol.
Taran Limousin, chargé de projet Matériel végétal à l’IFV partage la même hypothèse jusqu’à ce que la pression fongique explose dans beaujolais en 2024. « En 2018, on a démarré un essai avec des filets anti-grêle sur 35 ares de Gamaret, un cépage à port retombant, avec un rang témoin au milieu. En 2021, année de forte pression fongique, sous les filets les grappes et les feuilles étaient deux fois moins touchées par le mildiou. Mais en 2024, alors que pluviométrie annuelle était similaire à celle de 2021, le mildiou a explosé de toute part, y compris sous les filets. La différence s’est faite sur la précocité des attaques. L’an dernier nous avons eu des contaminations, avant les premiers traitements. Les filets étaient en place, mais en l’absence de protection phyto, ils n’ont pas eu l’effet anti-splashing soupçonné. Aujourd’hui on songe davantage à un effet anti-lessivage. Mais ce ne sont que des hypothèses. Pour le vérifier, il faudrait mener un nouvel essai sur vigne artificielle. Si c’était avéré, le filet pourrait devenir une piste pour espacer les traitements ou réduire les doses », souligne Taran Limousin.
En France, cinq domaines chablisiens et un à Menetou-Salon testent deux filets anti-grêle, Cov’Impact de SCDC-Texinov et Grape Protect d’Alphatex. « Après les orages de grêles destructeurs en 2024, les vignerons voulaient cet essai, explique Loïse Leclere, technico-commerciale chez Soufflet vigne, en charge du projet. Nous avons installé ces filets sur 2 à 4 rangs chez chacun d’entre eux. Nous observerons les impacts de grêle et l’état sanitaire du débourrement à la vendange, une à deux fois par semaine, selon la pression de l’année. Nous mesurerons aussi l’effet des filets sur le palissage pour avoir une vue complète de leur intérêt ». Cet essai doit durer trois ans. En Europe, le projet Life Vinoshield, coordonné par sept partenaires dont Texinov et l’IFV vise à étudier les effets des filets anti-grêle dans trois pays. « Pendant 4 ans nous allons suivre le développement de la vigne sous filet, du débourrement à la vendange, dans le Sud-Ouest, le Beaujolais, le Maine et Loire, en Italie et en Espagne, explique Francis Moinereau, responsable commercial agri chez Texinov. Nous étudierons leur intérêt contre les maladies, les insectes, le stress hydrique, l’échaudage et leur effet sur les rendements. Nous prévoyons même des micro-vinifications suivies de l’analyse organoleptique des vins. Tout devrait être en place d’ici début mai ».