Marché parallèle tout à fait légal ou réseau de réimportation illicite par le décodage des vins, cognacs et champagnes du groupe LVMH pour les rendre intraçables ? Ce lundi 10, la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux tranche, en jugeant « entièrement responsables » et « coupables des infractions reprochés » le négoce Simizy (basé en Gironde, en liquidation depuis septembre 2024) et son gérant, Samuel Praicheux pour importation parallèle et sans autorisation de marques des cognacs JAS Hennessy et des champagnes MHCS (Dom Pérignon, Krug, Mercier, Moët & Chandon, Ruinart et Veuve Clicquot Ponsardin, appartenant au groupe LVMH).
Sur l’action publique, la juridiction condamne Simizy à 30 000 € d’amendes et Samuel Praicheux à 8 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 € amendes. Sur l’action civile, le tribunal condamne solidairement les deux prévenus* à verser 20 000 € au titre de préjudice d’image à Hennessy et MHCS (via l’exposition et la vente de bouteille dont l’identification est altérée et contrefaçon), 13 698,31 € au titre des bénéfices induits et 2 000 € au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. Soit 75 692,31 €. Suivant les réquisitions de la procureure Perrine Lannelongue sur les amendes, la juridiction va plus loin sur la peine de prison (avec 8 mois contre 5 mois requis) mais ne reprend pas la demande d’interdiction de gérer une entreprise par Samuel Praicheux pendant trois ans (pouvant être circonscrite à l’activité de négoce international d’alcools pour le ministère public).


Pour la procureure, il n’y avait pas de doute comme elle l’indiquait ce lundi 20 janvier en audience : le négociant a sciemment appliqué des pratiques commerciales illicites en s’approvisionnant en caisses et bouteilles de vins et spiritueux destinés à des marchés extra-communautaires pour les revendre à des prix bradés dans des pays européens sans autorisation des détenteurs des marques et en passant sous les radars grâce au décodage des lots les rendant intraçables. « Samuel Praicheux évoque dans des mails la dangerosité de ces pratiques et les contrôles des marques. C’est son choix de prendre le risque de vendre ces bouteilles » pointait la procureure.
Trader ou dealer ?
Si ce sont les 1 500 bouteilles Dom Pérignon 2004 mis en vente à 129 € lors de la foire aux vins 2016 de l’enseigne qui ont déclenché cette affaire au pénal (après une enquête privée, puis l’action de la gendarmerie et des condamnations civiles), l’activité sur le marché parallèle du trader Simizy, actif sous la marque commerciale the Spirits Company, représente un chiffre d’affaires de 3,7 millions € sur les marques de Moët Hennessy entre 2014 et 2017. « Mon intime conviction, c’est que LVMH a pour but d’arrêter la présence de bouteilles chez Lidl en asphyxiant les fournisseurs parallèles » lançait Samuel Praicheux lors de l’audience, ajoutant que « parallèle n’est pas un gros mot. Je ne suis pas un trafiquant. Nous n’achetions pas à Moët Hennessy, mais à des grossistes pour le revendre ailleurs. C’est la libre circulation des marchandises sur le marché européen. »
Estimant que le dossier d’enquête et les demandes de LVMH sont bourrés « d’incohérence », il rejetait l’idée d’être à l’origine d’une « fraude sophistiquée à échelle industrielle » : « LVMH veut faire de moi le Pablo Escobar des vins et spiritueux ! » Défendant les intérêts des cognacs Hennessy et de MHCS, maître Frédéric Dumont décrivait « un système très sophistiqué d’importation parallèle de produits par moyen de décodage » et « l’enquête privée de mes clientes et l’enquête très détaillée de la gendarmerie Bordeaux (écoutes, saisies factures…) en apportent la caractérisation absolue ». Avançant que les entrepôts néerlandais utilisés par Simizy sont équipés de meules pour décoder les bouteilles, l’avocat parisien demandait des condamnations solidaires de 500 000 € pour les deux prévenus au bénéfice de ses deux clientes, ainsi que l’interdiction pour Samuel Praicheux d’exercer une activité professionnelle dans le commerce des boissons. « M. Praicheux créé et liquide les sociétés au gré des évènements et il a tendance à la récidive » cinglait Frédéric Dumont, évoquant de récentes offres de vente de Moët & Chandon et de Ruinart à moins de 30 € la bouteille.
* : « Au regard de la liquidation judiciaire de la société Simizy, le tribunal fixe au passif de la liquidation les sommes 5 000 € au titre de préjudice d’image de MHSC via l’exposition et la vente de bouteille dont l’identification est altérée, 5 000 € au titre du préjudice d’image de la JAS Hennessy liée à l’exposition et la vente de bouteille dont l’identification est altérée, des prévenus à verser à la société MHCS, 5 000 € au titre du préjudice d’image de MHCS résultant du délit de contrefaçon, et 5 000 € préjudice image JAS Hennessy & co » pointe le président Gérard Pitti.