Après la suppression de Luna et de Mildicut, l’interdiction du Pledge, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, s’écrie Eric Percher, viticulteur sur 65 hectares avec son frère Armel, à Nueil-sur-Layon dans le Maine-et-Loire. Cela fait plus de 15 ans que nous l’utilisons en sortie d’hiver, à la dose de 600 g/ha pour désherber sous le rang. Depuis que la dose de glyphosate a été réduite à 450 g/ha, je l’associe à du flazasulfuron, et ça fonctionne très bien. Une application fin février-début mars nous coûte moins de 100 €/ha et nous assure que les vignes restent propres pendant 3 mois de travail où le travail est intense. Alors pourquoi le supprimer ? La flumioxazine a été réhomologuée par l’Europe en 2022 pour 15 ans. Cette surtransposition va juste engendrer une distorsion de concurrence supplémentaire ».
Un vigneron de Santenay en Bourgogne, à la tête d’un domaine de 24 hectares et qui souhaite rester anonyme a appris la nouvelle par la presse début janvier. Une décision aussi inattendue qu’aberrante pour lui qui avait intégré Pledge à son programme de désherbage lorsque la dose autorisée de glyphosate a été réduite. « La matière active du Pledge ayant été réhomologuée par l’Europe en 2022, j’étais loin d’imaginer qu’elle disparaîtrait aussi rapidement du catalogue français. J’ai pris l’habitude d’en appliquer 1,2 kg/ha, fin février-début mars, sous le rang, et ça fonctionne très bien. Le ray-grass est maîtrisé. Mais là, sans Pledge, on se dirige tout droit vers une impasse technique », redoute ce vigneron.
Xavier Besson, directeur vigne et développement BU vin chez Loire Vini Viti distribution, dans le Val de Loire, s’inquiète également de ces conséquences néfastes de cette interdiction. « La dose homologuée de glyphosate est insuffisante pour gérer les érigérons, assure-t-il. Le Katana et autres produits à base de flazasulfuron sont moyennement efficaces contre cette adventice. Or depuis 2-3 ans, le vignoble est envahi. L’érigéron est devenu un véritable fléau face auquel les vignerons vont se retrouver désarmés. Ils alternaient une année sur deux Pledge et Katana pour limiter les phénomènes de résistantes ou appliquaient un mélange des deux produits, ce qui permettait de maîtriser les érigérons. Avec juste du Katana, on risque de générer une flore résistante ».
En Bourgogne, Denis Montagnon, directeur de Bourgogne Viti Service, estime que seuls 10 à 15 % des vignerons continuent à utiliser Pledge. Pour autant, cet herbicide reste indispensable. « Même si le travail du sol s’est énormément démocratisé ces dix dernières années, certains n’ont pas d’autres choix que de conserver les herbicides, soit pour des raisons économiques : un désherbage chimique sous le rang équivaut au moins à trois passages d’interceps, soit pour des raisons techniques car dans certaines parcelles en très forte pente, ou en dévers, la mécanisation est inenvisageable », détaille-t-il.
C’est justement ce qui inquiète un vigneron champenois à la tête de 9 hectares. Cela fait maintenant une quinzaine d’années qu’il a intégré Pledge à son programme de désherbage en complément du glyphosate pour nettoyer sous le rang. « Le désherbage mécanique avec un interceps, on connaît, dit-il. On le pratique déjà sur les parcelles voisines des habitations ; on est équipé pour cela d’un chenillard avec des interceps Braun. Mais l’étendre à l’ensemble du domaine c’est une autre histoire. Les printemps où il pleut, on ne rentre pas toujours dans les parcelles au moment voulu. Et on cultive 1ha20 dans des pentes à 40 % qui sont difficilement mécanisable. Si Pledge venait réellement à disparaître, comme herbicide de prélevée, il resterait le Katana, mais il est moins efficace sur certaines dicotylédones et graminée communes chez nous. On risque de se trouver avec des adventices résistantes et des problèmes de chloroses les années pluvieuses, à cause du flazasulfuron. Dans ce cas, je ne sais pas comment on va s’en sortir ».
Le travail du sol comme solution alternative au Pledge, Eric Percher, n’ose même pas l’envisager. « Parce que cela signifierait s’asseoir sur le bilan carbone, exploser les dépenses de GNR, accentuer les problèmes de main-d’œuvre et devenir dépendant de la pluviométrie. Quand on voit les cumuls de pluies que l’on a eu en 2024 et la météo très humide de ce début d’année, croire que l’on va pouvoir travailler les sols au bon moment au printemps est une hérésie. Les sols gorgés d’eau sont impraticables. L’alternative au Pledge doit être économiquement et techniquement viable. Sans quoi, avec la crise économique que nous traversons, nous fonçons droit dans le mur », assure-t-il.
Xavier Besson voit poindre une alternative. « Ascenza doit commercialiser d’ici fin 2025 un nouvel herbicide à base de flazasulfuron et d’iodosulfuron, une nouvelle molécule. Cela va permettre d’élargir le spectre d’action par rapport au Katana, mais restera insuffisant pour maîtriser érigérons, épilobes et séneçons ». L’interdiction du Pledge est bien une mauvaise nouvelle pour de nombreux vignerons.
Les distributeurs ont jusqu’au mois de juin pour écouler leurs stocks de Pledge/Rami, et les vignerons jusque juin 2026 pour utiliser ce produit. Josquin Lernould, responsable marché agronomie chez Acolyance Vigne en Champagne, a déjà pu se couvrir pour la campagne à venir. « Nos clients sont assurés d’avoir du Pledge pour désherber début mars. Mais pour 2026, rien n’est moins sûr. Nos commandes sont encore en attente de validation chez le fournisseur ». De son côté, Philagro affirme être en train d’évaluer les volumes qu’elle pourrait fournir au marché d’ici la fin juin. En 2024, les utilisations du Pledge couvraient près de 130 000 hectares, selon les estimations de la firme. Appliqué dans la pratique sous le rang, à la dose de 500g/ha, il est le deuxième herbicide de pré-levée le plus vendu en France, non loin derrière le flazasulfuron.