’est le symptôme ultime du malaise agricole en général, et viticole en particulier : ne pas pouvoir imaginer, ni même souhaiter, que la génération suivante prenne le relais à la tête des domaines familiaux. Ayant deux enfants, le vigneron Henri Cases, s’oppose aujourd’hui à ce qu’ils s’installent et reprennent le domaine Saint-Martin (150 hectares de vignes à Leuc, Aude). Pour lui, cette reprise signifieraient qu’« il prennent les crédits, les charges, les invendus… Ils s’installeraient mort-nés… » Avec le poids des aléas climatiques qui déséquilibre la trésorerie du vignoble. « Depuis 2018, je ne sais plus ce que c’est qu’une récolte normale. En 2018, des inondations nous ont touché. En 2019, c’était le gel et la grêle. En 2020 et 2021, c’était le gel. En 2023, 2022 et 2021 c’était la sécheresse… » énumère-t-il, alors que des grêlons ont haché ce 17 mai 72 ha de ses vignes (avec 30 à 100 % de dégâts) et 12 ha de plantiers (pour 1 800 ha de vignes touchées à Limoux).
Face aux pertes de récolte annoncées pour ce millésime et le suivant, le vigneron sait déjà qu’il ne récupérera qu’une partie de ses fonds avec l’assurance récolte à la parcelle qu’il a contracté (hors gel) : l’assurance multirisque climatique ne lui étant plus adaptée à cause de la moyenne olympique : « ça ne marcherait pas » résume-t-il, pointant qu’« aujourd’hui, on a cultures à risque. Il faut gérer comme tel les céréales, l’arboriculture, la viticulture… Il faut revoir les choses ! On ne demande pas à gagner de l’argent sur les assurances, mais rembourser ce qui est perdu pour que l’entreprise qui nous fait vivre continue à fonctionner. »


Tout l’enjeu désormais est de tenir financièrement pour ce vigneron. Alors que les équilibres financiers sont soumis à rude épreuve, « on y met les bijoux de famille. Mai à un moment, ça s’arrête » reconnaît Henri Cases, qui envisage d’arracher 10 ou 20 hectares pour retrouver de l’oxygène en termes de coûts de production, mais sans s’inscrire dans le futur dispositif primé. Aux aléas climatiques s’ajoutent les difficultés commerciales : en termes de sorties et de valorisation. « On a beaucoup investi dans nos vignobles et dans nos caves pour amener de la qualité. Mais on n’a pas le retour de nos investissements : les charges augmentent et les acheteurs ne veulent pas payer. C’est ça qui est triste » pointe Henri Cases, notant que « paradoxalement, il y beaucoup de vins sur le marché et on tire sur la corde : ça va lâcher. Tout le monde a à y perdre. Si le commerce n’a plus de production, il n’aura plus l’approvisionnement nécessaire. »
Se souvenant qu’il y a un mois des investisseurs voulaient acheter son domaine, le vigneron ne regrette pas d’avoir cherché à concrétiser l’offre « ça ne s’est pas fait, alors que je mettais de l’argent le soir même. Je ne suis pas prêt à vendre » confie-t-il à 57 ans, sans perdre en lucidité : « on travaille comme des cons pour perdre de l’argent tous les jours. Ça ne peut pas durer. On ne réinstallera des gens demain qu’à la condition que nos entreprises soient rentables. » Un enjeu de transmission crucial dans le vignoble, mais aussi dans toute l’agriculture française. S’il n’y a pas de changements rapides sur les normes et la rémunération, « il va y avoir un tsunami dans la filière agricole » prédit-il.