illes Salva se souvient très bien. « Nous n’avons pas compris ce qui nous tombait sur la tête », rapporte le directeur du pôle végétal du Centre de recherche viticole corse (CRVI). Au début du mois d’août 2020, les feuilles de plusieurs parcelles de la plaine orientale et de la zone de Sartène sont comme carbonisées au lance-flammes. « On connaissait bien les grillures d’Empoasca vitis mais là les dégâts étaient vraiment très impressionnants », insiste Gilles Salva.
Rebelote en 2021, 2022, et 2023. Ajaccio, la Balagne, Patrimonio.., presque plus aucune région n’est épargnée. Gilles Salva rencontre Lionel Delbac, qui coordonne le programme Ovni (observatoire des insectes nuisibles endémiques ou invasifs du vignoble) à l’Inrae de Bordeaux, et lui envoie des individus capturés. Le ravageur est identifié. Il s’agit de l’espèce Jacobiasca lybica, surnommée la cicadelle africaine de la vigne du fait de ses origines dans le Maghreb. Jacobiasca lybica a été signalée pour la première fois en Italie en 1962, avant de tracer son chemin vers l’Espagne, le Portugal, la Grèce, et désormais la France. Empoasca vitis et Jacobiasca lybica sont impossibles à différencier à l’œil nu. Elles font la même taille, ont la même couleur verte, et se déplacent en crabe sur la face inférieure des feuilles.
« Aujourd’hui il y a encore un peu de cicadelles Empoasca vitis au printemps, mais Jacobiasca lybica devient vite majoritaire », reprend Gilles Salva. Un vrai problème, car quand Empoasca vitis grille 10, 15, voire 20 % maximum des feuilles, en se concentrant sur la partie la plus vieille du feuillage, Jacobiasca lybica détruit tout. La larve et l'adulte s'alimentent sans interruption en ponctionnant toutes les nervures. « Même l’extrémité des rameaux et les entrecoeurs. Dans certaines parcelles, on ne voit plus de vert du tout. La photosynthèse s’arrête, et les parcelles les plus tardives n’arrivent pas à maturité ». Nielluccio, sciaccarello, vermentino, bianco gentile, syrah, grenache… tous les cépages semblent concernés.
Parcelle de bianco gentile le 20 août 2024 (Photo: Gilles Salva)
La même parcelle une semaine plus tard
Les viticulteurs sont désarmés. « Ils tentent de repousser la cicadelle africaine avec du limocide, de la kaolinite calcinée, ou à coup d’insecticides, mais même en multipliant les passages les produits classiques ne donnent pas de bons résultats. Seul le Sivanto est efficace, mais il est interdit en France », regrette Gilles Salva. Ils ont obtenu une dérogation de 120 jours pour tester l’Exirel. « Mais à 150 ou 200 euros par hectares, il ne va pas faire de miracles », anticipe Gilles Sava, indiquant que des travaux de recherche ont démarré cette année avec la Draaf et des spécialistes du continent pour mieux connaître le cycle biologique du ravageur et affiner les seuils de déclenchement des traitements.
Le temps presse. Jacobiasca lybica commence à coloniser d’autres vignobles du sud de la France. Début septembre, les agents de la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales ont découvert une très importante population de cicadelles africaines sur des vignes de la Côte Vermeille, essentiellement sur syrah et mourvèdre. « Dans le secteur concerné, à Paulilles, il y avait une à cinq cicadelles sous chaque feuille », détaille le conseiller Eric Noémie. L’intégralité du feuillage était marquée, de la décoloration au dessèchement complet de la feuille. Les observations au laboratoire ont confirmé que presque 100% des cicadelles capturées étaient bien des Jacobiasca lybica.
La Chambre d’agriculture va cartographier les secteurs où l’insecte est potentiellement déjà présent, de manière à mettre en place un réseau de suivi dès la prochaine campagne. Les viticulteurs ne doivent pas hésiter à lui signaler des symptômes. Il en va de la pérennité du vignoble.