ondamnée en juin 2023 à 29 000 euros de dommages et intérêts pour diffamation du vigneron Sébastien Riffault en tant que présidente de l’association Paie ton pinard, dans quel état d’esprit attendez-vous le délibéré en appel du 27 juin ?
Isabelle Perraud : Je fais confiance à mon avocate ! En fait, cette histoire est importante, mais elle invisibilise tout le travail que fait l'association Paye Ton Pinard tous les jours. Et c'est bien le but de ces procédures baillons. Perdre du temps sur la forme et ne pas s'intéresser au fond des problèmes. De plus, personne ne comprend rien à la diffamation et les enjeux de celle-ci. Cette affaire, que je perde ou que je gagne, ne changera rien aux prises de paroles et positions sur les sujets de discriminations et violences sexuelles de Paye Ton Pinard.
Paye Ton Pinard ne se résume pas à cette affaire, même si elle est très grave. Et quoi qu'il arrive, nous continuerons de travailler pour un monde du vin plus égalitaire. Évidemment, j'ai peur du verdict. Pas pour moi mais pour toutes les victimes que ça incitera à se taire. Parce que cette affaire a déjà eu cet effet sur de nombreuses victimes.
Quelles sont ces actions de Paie ton pinard ?
Paye Ton pinard est au front chaque jour dans la sensibilisation, la prévention, l'écoute des victimes et la prise en charge. Paye Ton Pinard intervient dans les lycées viticoles sur la demande des étudiantes, etc. Eva Robineau et moi-même travaillons sur un gros projet au niveau européen, avec un groupe de femmes italiennes, sur les violences sexuelles dans le monde du vin et un observatoire mondial sur les Violences Sexuelles et Sexistes (VSS) est à l'étude. Et une vingtaine de bénévoles de l'association travaille sur des dossiers comme un site internet, une charte de bonne tenue sur les salons etc.
L’association est également très présente sur les réseaux sociaux, permettant de partager des récits glaçants de victimes de VSS (voir encadré). Est-ce que ces publications permettent une prise de conscience de la filière et une amélioration de la situation ?
Quand une victime confie son témoignage et souhaite qu'il soit publié (tous ne le sont pas), c'est une vraie démarche, difficile, une première prise de parole vers quelquefois un dépôt de plainte. Ça permet aux femmes du vin de se sentir moins seules : les étudiantes dans la filière vin, celles qui débutent, les salariés, les stagiaires (car ce sont elles qui nous font surtout des retours pour le moment). Ça permet de mieux comprendre les mécanismes des violences sexistes et sexuelles et de déculpabiliser. Tout est fait pour que les victimes se taisent et se sentent responsables des violences qu'elles subissent. Le seul responsable c'est celui qui agresse. A aucun moment l'alcool, une tenue vestimentaire ou une attitude ne doivent minimiser les faits.
On peut dire qu'il y a une amélioration dans la sensibilisation mais le travail est énorme parce que trop de gens ne se sentent pas concernés et ne voit pas le problème, souvent parce qu'ils en font partie.
Des actions sont-elles en cours à la suite de ces partages et publications ?
Des plaintes sont déposées, mais ce n'est pas facile, car les femmes ont peur pour leur vie professionnelle. De plus, elles sont souvent menacées d'être attaquées en dénonciations calomnieuses : encore une procédure bâillon. Déposer plainte coûte très cher, c'est très lourd psychologiquement et très long (plusieurs années). Dire à une femme d'aller déposer plainte, c'est un peu lui dire d'aller se faire classer sans suite, car 94% des plaintes pour viol le sont. Nous n'incitons pas les victimes à aller déposer plainte. Chacune fait comme elle le peut et comme elle le veut. Nous soutenons toutes leurs décisions, quelles qu'elles soient.
Est-il possible d’en savoir plus sur le nombre de ces démarches et leurs développements ?
Nous ne communiquons pas sur les plaintes en cours car nous mettons une priorité à protéger celles qui osent parler.
Parmi les témoignages publiés par Paye Ton Pinard, Isabelle Perraud en relève deux :
Une élève de BTS : « j’ai commencé à travailler depuis six mois pour un vigneron pour ma deuxième année de BTS. Dès le début, il n’a eu de cesse de me rabaisser dès qu’il y avait d’autres hommes, me donnant à faire que des taches de ménage. 6 mois : je n’ai fait aucune journée dans la vigne, ni même en cave. Je l’ai écouté pendant des heures me raconter sa vie, se plaindre et boire de l’alcool, le tout en me sollicitant maintes fois pour que je boive aussi. Aujourd’hui, il a été plus loin, il a été violent physiquement et m’a hurlé dessus, je me suis levée et je suis partie. »
« Je suis venue en France pour apprendre comment faire du vin naturel, chez un vigneron qui m’avait invitée et convaincue de venir apprendre chez lui. Durant mon séjour, j’ai été très vite mal à l’aise et rapidement victime d’agressions sexuelles et de harcèlement de sa part. J’étais terrifiée la nuit à l’idée qu’il puisse pénétrer dans ma chambre. J’ai passé des nuits entières sans dormir ce qui m’a rendue malade… Un jour j’ai pris la fuite, avec mon sac à dos, en courant, pour fuir cet endroit et trouver un refuge… Aujoud’hui j’ai déposé plainte contre ce vigneron, accompagnée d’une amie, et je souhaite retourner dans mon pays. »