Ce n’est pas la bérézina, mais on sent un ralentissement des ventes chez les cavistes. La tendance s’est amorcée fin 2022 avec un report des achats vers les entrées de gamme. Puis, en 2023, elle s’est traduite par une frilosité dans les approvisionnements. Le mois de septembre a été très timide. Au sein de la plateforme logistique que nous avons constituée pour mutualiser les coûts avec une dizaine de vignerons du Sud-Ouest, nous accusons une baisse d’environ 10 % de nos ventes dans le circuit traditionnel », témoigne Jean-Marc Grussaute.
À la tête de 12 ha à Jurançon, ce vigneron produit 45 000 bouteilles par an dont 60 % sont distribuées chez les cavistes. « C’est un réseau stratégique pour moi. Mes vins de Jurançon ont besoin de prescripteurs. Je suis hyper rigoureux sur mes tarifs en veillant à l’écart entre mon prix public et les prix cavistes afin que chacun puisse faire sa marge. Je peux encaisser un recul de 10 % de mes ventes. Mais il ne faudrait pas que ça dure. »
Bruno Belly, vigneron sur 28 ha à Pleine-Selve, en Gironde, qui réalise 30 % de ses ventes chez les cavistes, accuse, lui, un recul de 20 à 25 % de son chiffre d’affaires sur ce créneau. « La baisse est particulièrement sévère sur les rouges. Il y a clairement une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs et le vin n’étant pas essentiel, ils en achètent moins souvent. Même si nos vins ne sont pas très chers (3 à 7 € HT prix caviste), on sent bien que le frein, c’est le prix car les Bib, qui sont plus économiques, marchent très bien, notamment ceux de blanc et de rosé. Désormais, les Bib représentent la moitié de mes ventes en conditionné. »
Pour Lise Carbone, propriétaire du domaine Galtier (26 ha en production) à Murviel-lès-Béziers, le ralentissement date déjà du printemps 2022. Cette viticultrice vend 50 % de sa production en conditionné dont 20 % aux cavistes : « Au départ, la baisse a touché mes bouteilles de plus de 13 € prix public, puis elle s’est étendue à tous mes produits. Même les entrées de gamme accusent le coup. C’est très inquiétant. Les acheteurs réguliers réduisent leur consommation et les jeunes générations s’intéressent peu au vin. Il faut qu’on se diversifie. »
Pour enrayer cette baisse, Lise Carbone offre des bouteilles gratuites à chaque commande, de sorte qu’elle réduit de 3 à 4 % la facture de ses clients. Et quand elle est sur un salon, elle propose de livrer ses cavistes alentour pour leur éviter les frais de port.
Chloé Barthet, vigneronne sur 8 ha à Faugères, travaille essentiellement avec le réseau cavistes qui représente 70 % de ses ventes. « Nous avons senti une légère baisse cet été, mais les ventes ont bien repris en octobre et novembre. On devrait être stable ou en légère baisse en fin d’année. Avec nos vins en bio et biodynamie, nous sommes sur un marché de niche qui est sans doute moins touché que celui des vins conventionnels », analyse-t-elle.
Heureux vigneron, Michel Sarrazin, commercialise sans problème 200 000 cols par an dont un quart chez les cavistes. Avec ses deux fils, il exploite un vignoble de 35 ha à Jambles en Côte Chalonnaise. « J’ai été déréférencé l’an dernier car j’étais en rupture de stock après le gel de 2021, explique-t-il. Mais, cette année, tous m’ont repris. Mes ventes sont reparties comme avant la rupture. Il faut dire que je n’ai pas trop augmenté mes tarifs. » Et que les vins de Bourgogne sont en vogue.
À la cave de Tain-l’Hermitage, Murielle Chardin-Frouin, responsable commerciale France, est attentive aux difficultés de ses clients qui lui rapportent un effritement de la fréquentation de leurs boutiques. « Les cavistes observent que la fréquentation est plus forte en fin de semaine et que le panier moyen baisse, indique-t-elle. Nous avons donc mis l’accent sur nos vins de cépage en IGP. Nous avons relooké cette gamme pour être plus impactant. À la mi-novembre, nos ventes progressent de 4,7 % chez les cavistes indépendants et de 13 % dans les chaînes. Le dynamisme, la créativité et la fidélisation peuvent faire la différence. »
Chez Anne de Joyeuse, coopérative audoise qui réalise 60 % de son activité chez les cavistes, l’équipe commerciale note un ralentissement en cette fin d’année. « Le volume moyen par commande est en baisse et il y a des reports. Certains cavistes qui nous prenaient des entrées de gamme montent en gamme. D’autres, au contraire, s’orientent vers les entrées de gamme. Mais nous continuons à gagner des clients car nous avons beaucoup investi. Début novembre, nous avons déjà fait le chiffre réalisé sur l’ensemble de l’année 2022. Finalement, nous allons faire une très bonne année avec une hausse de 17 à 18 % », se réjouit Arnaud de Cadolle, directeur commercial France. L’avenir n’est pas si morose pour qui sait investir sur ce circuit.