Cette réforme nous handicape au quotidien. On est frustrés de ne plus pouvoir faire du conseil car nous sommes impliqués dans la vie des exploitations de nos clients. » Pour Thierry Favier, expert technique vigne à la CAPL Provence Languedoc, la séparation entre la vente et le conseil phyto, entrée en vigueur en 2021, a un goût amer. Pour ses confrères aussi.
« Les vignerons venaient chercher chez nous des produits et des conseils. Il n’est pas évident de leur dire non pour les conseils. Certains sont perdus, jouent aux apprentis sorciers avec leurs traitements. Cette réforme a fait le jeu des sites de vente en ligne sans aucun accompagnement technique, et cela a conduit à l’augmentation des résistances aux produits phyto », déplore Stéphane Trumtel, directeur opérationnel à la CSGV en Champagne.
Pour nombre de distributeurs, pour ne pas dire tous, il est inconcevable de priver leurs clients de tout conseil. « Cette année les vignerons ont été confrontés à une pression forte de mildiou. Ils n’y étaient pas du tout préparés. Nous étions désolés pour eux. Nous leur avons donné des infos pour les aider, de façon informelle et oralement. Nous n’allions pas leur dire « débrouille-toi » ! », raconte un distributeur du Val de Loire.
« Tout conseil écrit, même un SMS, est interdit. Mais nous continuons à en faire, oralement. Et, grâce à cela, nos vignerons ne se sont pas trouvés en difficulté », confie-t-on au sein d’une structure en Occitanie. « Le conseil oral est devenu la principale règle dans le métier. Nous restons l’interlocuteur privilégié du vigneron, dans les limites de la loi », explique Éric Bisetto, directeur réseau chez Inovitis (Bordelais et Sud-Ouest).
La nouvelle réglementation a considérablement rétréci l’information que peuvent donner les vendeurs de phytos. « Nous envoyons à nos clients un bulletin hebdomadaire les informant des risques de maladies et de ravageurs, avec une liste de produits utilisables et leurs données réglementaires : CMR ou pas, délai de réentrée et dose homologuée… Avant, nous leur indiquions en plus la solution la moins coûteuse et la plus efficace pour eux », explique Christophe Duvnjak, directeur de la Coop SNB à Saint-Nicolas-de-Bourgueil.
À la CSGV en Champagne, l’aide des vendeurs consiste notamment « à lever de possibles incohérences dans les programmes : mélanges interdits, nombre d’applications supérieur à ce qui est autorisé, risques de résistances, etc. », déclare Stéphane Trumtel.
Cette réforme qui a interdit le conseil a aussi eu des conséquences économiques pour des distributeurs. « Nous avons perdu des parts de marché sur les produits conventionnels », confie Stéphane Trumtel. « Les vignerons ont été plus pénalisés que nous par cette réforme, par manque d’accompagnement technique », commente Éric Bisetto d’Inovitis.
Les distributeurs veulent que la loi soit revue. Le président de la Coopération agricole, Antoine Hacard, l’a clairement dit lors d’une conférence de presse le 20 septembre. « Nous souhaitons être réautorisés à faire des préconisations sur l’usage des produits phytosanitaires », a-t-il déclaré. Un conseil qui serait facturé. « Il nous faut des choses simples », a-t-il appuyé, estimant avoir perdu en « cohérence » et courir un risque juridique fort car « il y a une barrière très floue entre les informations légales qu’un vendeur doit fournir à son client, et le conseil stratégique. »
En effet, dans leur bilan de la séparation de la vente et du conseil, les députés Dominique Potier et Stéphane Travert préconisent de réautoriser les distributeurs à donner du conseil, à condition que cela soit fait par des filiales ad hoc. Certains se préparent à une telle évolution. « Nous sommes en pleine réflexion pour la création d’un nouveau service pour facturer séparément le conseil. Si les lignes réglementaires bougent nous serons opérationnels pour pouvoir accompagner nos adhérents », indique Thierry Favier. Reste à savoir si les préconisations des deux députés seront suivies d’effet.
Mi-juillet, les députés Dominique Potier (PS) et Stéphane Travert (Renaissance) ont rendu un rapport sur la séparation entre la vente et le conseil des produits phytos, dressant un « bilan très mitigé » de cette séparation. Selon eux, elle n’a eu qu’une « faible » influence sur l’usage des phytos. « Le passage d’un conseil formalisé par les vendeurs à une absence de conseil ou à un conseil oral et informel paraît avoir diminué la qualité du conseil et laissé un certain nombre d’agriculteurs “orphelins” », indiquent les deux députés. D’après eux, la séparation de la vente et du conseil « freine le développement de solutions combinatoires », associant produits conventionnels, biocontrôle, outils d’aide à la décision et travail mécanique. « Il paraît nécessaire de modifier le droit pour autoriser les vendeurs à effectuer du conseil spécifique, à condition de renforcer les obligations de transparence et de traçabilité », écrivent-ils dans leur conclusion. Dominique Potier et Stéphane Travert préconisent d’autoriser les coops et négoces de distribution à créer des filiales spécialisées dans le conseil qui factureraient leur service et emploieraient des personnes dédiées uniquement au conseil.