u côté d’Épernay, on voit de plus en plus de brebis dans les vignes », constate Jean-Paul Ralite. Depuis l’an dernier, le gérant de Champagne Curfs Ralite, 1,2 ha à Dormans, dans la Marne, compte lui aussi sur des brebis pour nettoyer ses parcelles. Pour lui, la chose s’est conclue sans difficulté et de façon orale avec une bergère, qui se trouve être de sa famille.
Maël Hardy est chef de culture du domaine Chêne Bleu, 30 ha à Crestet, dans le Vaucluse. Lui non plus n’a pas signé de contrat avec le berger dont les brebis pâturent ses vignes en hiver depuis quinze ans. Et pour cause : c’est un voisin.
Gérante du domaine de la Fouquette, Isabelle Daziano qualifie aussi de « contrat de confiance » son lien non écrit avec un berger des Hautes-Alpes, qui descend ses brebis dans le Var en hiver pour les faire pâturer. C’est lui qui, il y a cinq ans, est venu lui proposer d’investir ses 20 ha de vignes, situées aux Mayons.
Ni contrat écrit, ni contrepartie financière pour Isabelle Daziano et pour Maël Hardy : aucun des deux ne paie son berger. « C’est un lien gagnant-gagnant, affirme Maël Hardy. C’est positif pour nous car le développement de l’herbe est contenu, et positif pour le berger qui nourrit ses brebis. » Jean-Paul Ralite en revanche, qui n’a pas rémunéré sa bergère l’an passé, compte le faire cette année. Il envisage de lui donner le prix d’une tonte mécanique.
Aussi bien en Champagne que dans le Vaucluse, les brebis doivent s’accommoder de l’enherbement naturel. Mais concernant ses parcelles semées de couverts temporaires, Maël Hardy préfère soumettre le choix des espèces à Vincent Anselme, le berger qui intervient chez lui. Car celui-ci l’a averti que « certains trèfles peuvent météoriser les brebis ».
Maël Hardy fait venir les brebis une ou deux fois dans l’hiver, pour nettoyer 10 ha de vignes et des prairies et bois qui font partie de son domaine. Tout d’abord en novembre, « après qu’un grand nombre de feuilles sont tombées, afin de ne pas gêner la mise en réserve des vignes, explique-t-il. Je demande au berger d’adapter le niveau de pâture en fonction de la vigueur de l’herbe : il faut tondre les semis avec modération, si on veut que le sol bénéficie d’un engrais vert. » Si l’herbe a bien repoussé, les brebis reviennent avant l’agnelage, en février ou mars. « On évite ainsi un, voire deux passages d’engin pour nettoyer les vignes. Et on profite de la fertilisation apportée par les déjections des brebis, complémentaires de nos apports de compost végétal. »
Chez Jean-Paul Ralite, seules deux parcelles de 15 ares et 30 ares sont pâturées. « Le cheptel de la bergère est encore petit, avec seulement 30 brebis pour l’instant, explique-t-il. Elles viendront une fois, début décembre, pendant environ une semaine. »
Au domaine de la Fouquette également, le troupeau de brebis n’intervient qu’une fois et à partir de début décembre. C’est un troupeau de 800 têtes qui vient pâturer les 20 ha du domaine, à raison d’un hectare par jour. « Malgré leur grand nombre, elles ne tassent pas les sols, comme elles ne restent qu’une journée à un endroit », constate Isabelle Daziano. Les brebis pâturent aussi les pare-feu. Elles restent environ un mois, « si l’hiver n’est pas sec comme en 2022, où elles sont parties au bout de quinze jours du fait du manque de nourriture ». Les brebis passent la nuit parquées dans la forêt du domaine. L’an dernier, pour la première fois, le berger a aussi amené les brebis pleines. « Elles ont mis bas dans les vignes », raconte la vigneronne, amusée.
Chez Isabelle Daziano, les brebis ne contraignent pas le travail de la viticulture. On n’effectue pas de prétaille et broyage des sarments préalables à leur arrivée, et la taille a lieu en présence des brebis. La vigneronne ne s’inquiète pas non plus du risque de dégâts sur le système de goutte-à-goutte : « Ça se décroche à certains endroits, mais finalement assez peu. Nous raccrochons après le départ des brebis. »
Au domaine Chêne Bleu, Maël Hardy s’entend avec le berger pour faire pâturer chaque parcelle en fonction de l’avancée des travaux. Dans les parcelles qu’il ne prétaille pas, il fait passer les brebis avant les tailleurs afin d’éviter que les animaux ne dispersent les sarments que les tailleurs disposent en andains. Et pour ces trois vignerons, un impératif : faire cesser le pâturage à la veille du débourrement, de façon à protéger les bourgeons.
Fervent défenseur du viti-pastoralisme en raison de la qualité de la tonte et de l’intérêt environnemental, Maël Hardy en souligne un autre atout : « Cela représente une réelle valeur ajoutée sur les réseaux sociaux ».
Depuis quinze ans, l’hiver venu, Vincent Anselme fait pâturer son troupeau de brebis mourerous dans le Vaucluse. Depuis quelques années, il est de plus en plus demandé par des vignerons voisins du domaine Chêne Bleu, son client historique. « Ils constatent que les brebis font un super boulot dans les rangs et sous le rang. Et elles peuvent enlever du lierre sur les ceps, jusqu’à 1,20 m de hauteur. » C’est aussi l’explosion du prix des intrants qui motive ses clients. « Je fais des parcs de nuit, pour faire dormir et crotter les brebis. Leurs déjections sont intéressantes pour la biodiversité car elles font venir tout un tas d’insectes. » Vincent Anselme refuse parfois des offres, notamment lorsque le palissage est inférieur à 60 cm environ, ou en mauvais état. Pour accueillir ses 300 brebis, il faut 1 ha au minimum et du dégagement en bout de rang, autant que pour un tracteur, pour « pouvoir faire demi-tour ». Il demande aussi à disposer d’une zone de repli, en cas de pluie, « pour éviter de tasser les sols, et parce que les brebis ne mangent plus l’herbe après l’avoir salie avec de la boue ».