in connaisseur du vignoble bordelais, François Martin écrit toutes les interrogations et remises en questions d’une filière en perte de repères dans le Chant des vignes (éditions Geste, 160 pages pour 18 euros). Sans enjoliver le métier, le roman suit Antoine, fils de vigneron ayant repris la propriété familiale en côte de Bourg et se heurtant à un mur de dettes sans échappatoire commercial. Si le récit se déroule durant l’hiver 2017, et son violent gel du printemps suivant, la situation économique rappelle celle actuellement vécue par nombre de propriétés se heurtant à la déconsommation. « L'ancien monde consommait moins et le nouveau produisait davantage. Le boom du marché chinois et le regain du marché américain s'étaient tassés » note le roman, qui fait dire à un courtier : « n'attends rien du marché, Antoine, les cours du vin en vrac sont au plus bas depuis des mois et la demande ne suit pas ».
Concrètement, « chaque fois qu'Antoine vendait du vin en vrac, il perdait de l'argent. Il trouvait ce système complètement absurde mais en restait dépendant comme ses confrères. » Une situation hélas commune, le coût de revient étant bien supérieur aux prix moyens du vin en vac. « Comme la plupart des gens de la terre, il faisait le dos rond par atavisme en attendant des jours meilleurs sans chercher de solutions à cette crise durable qui le dépassait » raconte le roman. Désemparé, le vigneron « ne savait plus vraiment s’il était là par choix ou par devoir, son père n'ayant jamais rien exigé. Il évitait d'ailleurs de trop y réfléchir, préférant se jeter à corps perdu dans ce travail de Sisyphe où tout était à recommencer chaque année », des travaux de la vigne à la charge administrative.
S’il trouve les mots justes pour décrire une situation économique difficilement assumée*, François Martin n’est pas que dans le constat attristant, proposant un récit d’émancipation de l’héritage familial (incluant les dettes et les modèles économiques dépassés) par la réappropriation du potentiel de production de valeur ajoutée par la création d’un nouveau modèle économique (ici un financement participatif, grâce à un fichier clients constitué de salons en salons). Un changement de paradigme causé par un choc, le ravage du gel de la nuit du 20 au 21 avril 2017, et le conseil d’une jeune banquière idéaliste : pour savoir s’il y aura une sortie de crise économique et de solitude amoureuse, il ne vous reste plus qu’à lire ce roman.
* : « Antoine ne savait pas parler d'argent par pudeur pour ceux qui n'en avaient pas. Le fait d'en gagner restait un sujet tabou ; il lui était impossible de l'évoquer librement, sans sentiment de culpabilité » indique le livre.