Alors que les dossiers Maucaillou, Larrivet Haut-Brion et Citran[1] devront de nouveau être jugés en appel, force est de constater que les condamnations prononcées en première instance sont lourdes de conséquences[2] et correspondent à des pratiques répandues qui visiblement suscitent déjà la crainte dans le négoce bordelais[3].
Au regard du risque pénal qui pèse tant sur les dirigeants que sur les personnes morales exploitant des marques domaniales – les peines complémentaires pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer pour les personnes physiques et la fermeture sur une durée de cinq ans de l’établissement impliqué pour les personnes morales, il nous semble essentiel de revenir sur un aspect trop méconnu de la procédure pénale : la composition pénale.
En effet, cette procédure présente le double avantage d’être une alternative aux poursuites et d’éviter des procédures judiciaires longues, parfois coûteuses, avec un impact public qui peut s’avérer nocif et dont l’issue peut être incertaine.
Un champ large et pragmatique
Introduite en droit français par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale, la composition pénale a vu son champ d’application élargi - puisqu’en plus des personnes physiques, elle est désormais applicable aux personnes morales – depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.
De plus, le panel des infractions susceptibles d’être concernées par ce type de mesure est très large puisque le Procureur de la République peut recourir à cette procédure tant en matière contraventionnelle que délictuelle, à condition que la peine maximum encourue ne dépasse pas un emprisonnement de 5 ans.
Les pratiques commerciales trompeuses étant réprimées à hauteur d’un emprisonnement délictuel de deux ans et d’une amende de 300 000 euros - ou 10% du chiffre d’affaires moyen annuel (calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels) ou 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou la pratique constituant le délit, elles entrent donc clairement dans le champ d’application de cette mesure.
Les faits de tromperie et de falsification, tout aussi répandus que les pratiques commerciales trompeuses entrent également dans le champ d’application de cette mesure.
Un fonctionnement qui laisse la possibilité au justiciable de se manifester
La procédure de composition pénale se déroule en trois étapes :
Aussi, la loi n’interdit pas au justiciable de solliciter le bénéfice de cette mesure directement auprès du Ministère public avant que celui-ci ne se manifeste.
De même, en cas de contrôle des fraudes et une fois le procès-verbal d’infractions notifié à la partie concernée, il lui sera toujours possible de solliciter la mise en œuvre d’une composition pénale auprès du Ministère public, l’action publique n’ayant à ce stade, pas encore été mise en mouvement.
Cette démarche proactive pourra d’ailleurs être perçue positivement par le représentant du ministère public qui pourra en tenir compte dans sa proposition de peine.
A l’inverse, le juge homologateur pourra refuser de valider la mesure s'il estime que la gravité des faits, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient le recours à une autre procédure, ou lorsque les déclarations de la victime apporteront un éclairage nouveau sur les conditions dans lesquelles l'infraction a été commise.
Pour en revenir aux pratiques similaires à celles dénoncées dans les affaires Maucaillou, Larrivet Haut-Brion et Citran, il y a tout lieu de penser qu’une telle mesure pourra être mise en œuvre et validée pour les cas à venir puisque l’approche transactionnelle semble faire consensus.
Dans le cadre de ces affaires, le représentant du Ministère public ayant en effet lui-même fait savoir qu’un changement d’approche était en cours – la logique transactionnelle pourrait être envisagée.[4]
Cette prise de position du ministère public est d’autant plus intéressante qu’il existe une procédure de validation simplifiée, procédure qui depuis la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, n’a plus à être homologuée par un magistrat du siège pour tous les délits dont la peine encourue est d’une durée inférieure ou égale à trois ans – ce qui est toujours le cas pour les pratiques commerciales trompeuses.
Une solution pratique et efficace
L’intérêt majeur de la composition pénale est qu’elle ne constitue pas une condamnation pénale, mais bien une alternative aux poursuites.
Concrètement, si les mesures prescrites par la composition sont exécutées, l’action publique est éteinte.
La mesure ne sera donc pas inscrite sur le bulletin numéro 2 du casier judiciaire (qui peut notamment être consulté lors des candidatures à des appels d’offre ou dans le cadre de partenariats commerciaux).
Les peines d’interdiction d’exercer et/ou de fermeture temporaire ne relevant pas des mesures prévues pour la composition pénale elles pourront ainsi être évitées, ce qui assure la continuité économique de l’entreprise.
Elle permet également un règlement plus simple et plus rapide du contentieux – dans les trois affaires citées les enquêtes de la DIRECCTE avaient commencé en 2016 et les procédures judiciaires sont toujours en cours…
Plus généralement, la composition pénale présente l’avantage majeur d’éviter un impact négatif en termes d’image auprès des consommateurs – la procédure n’ayant à coups sûrs pas la même publicité qu’une audience correctionnelle, étant souligné que la loi ne prévoit pas dans ce cas la publication de la décision prononcée.
Enfin, dans un contexte économique difficile, tout particulièrement pour les professionnels du vin -production et négoce confondus – il est évident que le cadre transactionnel prévu pour cette mesure permettra, d’une part aux intéressés de mettre en avant les difficultés concrètes ayant pu conduire à la commission de telles pratiques, mais surtout de poursuivre leur activité commerciale une fois qu’elle aura été mise en conformité avec la loi.
Récemment, le ministère de la justice a même fait savoir qu’il souhaitait le développement de cette mesure puisqu’elle permet d’apporter une réponse pénale plus efficace et plus rapide, notre Garde de Sceaux allant quant à lui jusqu’à encourager les Procureurs à les privilégier.[5]
A bon entendeurs !
Maître Matthieu CHIREZ : mchirez@jpkarsenty.com
Maître Nathalie TOURRETTE : ntourrette@jpkarsenty.com
Site internet : https://www.jpkarsenty.com/
[1]https://www.vitisphere.com/actualite-90816-Un-vin-de-negoce-ne-peut-sappuyer-sur-le-nom-et-les-codes-graphiques-dun-chateau.htm
[2] Dans le dossier MAUCAILLOU, une amende 200.000 euros a été infligée pour le négociant, à laquelle s’ajoutent 20.000 euros d’amende (dont 10.000 euros avec sursis) pour le gérant.
[3] https://www.vitisphere.com/actualite-90829-Pascal-Dourthe-veut-faire-appel-de-larret-Maucaillou.htm
[4] En ce sens article de Vitisphere, du 4 janvier 2021 « Denis Merlaut porte ″les petites condamnations″ du Bordeaux de Citran en appel »
[5] Circulaire de politique pénale du 24 septembre 2020