u'on l'appelle auxerrois ou côt, c'est un fait indéniable pour le professeur d'histoire Pablo Lacoste (Université de Santiago du Chili) : « le malbec est un cépage emblématique d'Argentine : il est rentré au Trésor National ». Présents aux troisièmes Malbec Days de Cahors, les sommeliers et journalistes d'Amérique comme du Royaume-Uni le confirmaient : le consommateur lambda associe aussi spontanément qu'immanquablement le malbec à l'Argentine. En parfaite méconnaissance des origines lotoises et racines cadurciennes du cépage. Un état de fait que ne critique pas le négociant Bertrand Gabriel Vigouroux, président de l'Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors (UIVC). Il souligne que « la visibilité internationale du malbec nous a été offerte par les Argentins, et je les remercie sincèrement pour ce travail de titan. La mondialisation peut avoir du bon ! »
Success story du marché mondial des vins, la percée du malbec argentin « a été une surprise pour tout le monde, à commencer par nous, les Argentins » rapporte, encore étonné, Antonio Morescalchi, le directeur de la bodega argentine Altos las Hormigas. « L'Argentine voulait exporter des vins, le malbec était une possibilité parmi le cabernet sauvignon et des cuvées bordelaises. Aujourd'hui je crois que le malbec est arrivé à un plateau, l'Argentine cherche un nouveau concept : assemblage, sélection de sous-régions... » Avec la volonté sous-jacente de dépasser un effet de mode pour inscrire le malbec dans l'ADN du vignoble andin. Mais pour cela il manque un « important travail d'essai, de valorisation et de transmission » regrette l'œnologue Leonardo Borsi. Ou, comme le formulait le docteur Nicolas Vivas (laboratoire CESAMO), « un grand vin est plus un sentiment qu'un prix, c'est un paysage qui a su être valorisé par l'homme depuis longtemps ».
Patrie de cœur du cépage, le vignoble de Cahors compte 3 700 hectares de malbec, contre 34 000 hectares pour l'Argentine, où le malbec est arrivé par le Chili en 1850 (après avoir été implanté en 1840 par des immigrants français, on y compterait 1 900 ha aujourd'hui). Cépage capricieux, le malbec continue de faire tâche d'huile dans le vignoble mondial. Même s'il reste encore réduit à des portions congrues, il existe une production domestique en Californie (450 ha), en Afrique du Sud (450 ha), en Australie (450 ha) et même en Nouvelle-Zélande (150 ha). Dans ces pays le malbec reste un cépage exotique, qui fait ses preuves en tant que produit de diversification. A noter que le malbec ne se limite pas qu'au Sud-Ouest en France, le bassin méditerranéen en possède moins de 500 hectares, « et participe dans l'Aude aux assemblages des vins d'appellations Limoux et Malepère » rapporte Guy Andrieu (directeur de la cave Anne de Joyeuse).
Face à ces intervenants du vignoble mondial, les vignerons cadurciens ne se voyaient pas comme des tuniques bleues encerclées par les indiens. Au contraire, « nous n'avons pas peur que d'autres vignoble plantent » soulignait Jérémy Arnaud (directeur de l'UIVC). « Cahors est la capitale orgueilleuse du malbec, mais nous avons tous la même mission dans cette Malbec International Team : développer le cépage pour le valoriser ». Par les prix seuls, les vins de Cahors sont d'entrée positionnés différemment de leurs concurrents, présentant généralement des prix meilleur marché. « Les vins de Cahors peuvent s'étendre sur tout le spectre de prix, ou rester sur une niche de qualité. Comme les super toscans, pourquoi ne pas imaginer des super malbecs ? » proposait le journaliste Roger Voss (WineEnthusiast)
[Illustration : Extrait du film O'brother where art thou de Joel et Ethan Coen (2000)]