ans une récente interview au magasine britannique Decanter, Sylvie Cazes (récemment réélue présidente de l’Union des Grands de Bordeaux) déclarait que pour les primeurs, « à chaque fois qu’il y a un nouveau marché, cela génère des tensions. C’est arrivé avec les Etats-Unis dans les années 1980, et ça c’est répété avec l’Asie l’an dernier. Mais cette année les choses ont été plus stables (la demande asiatique n’ayant pas tant augmenté), il n’y a pas eu la même frénésie que l’an dernier. » Pour elle le marché des primeurs bordelais n’est pas une bulle spéculative, « le marché va se stabiliser de lui-même, et on sent déjà avec 2010 ce début de régulation. »
Le prix des primeurs 2010 des grands crus classés de la rive gauche confortent l’hypothèse de la constance retrouvée, comme on peut le voir sur le tableau ci-dessous (les prix sont ceux de sortie de négoce, par bouteille) :
Si la majorité des grands crus voient leurs prix augmenter, cela semble néanmoins ‘‘raisonnable’’ au regard de l’an passé (les prix avaient augmenté de 15 à 30 % par rapport à 2005, déjà ). Certains grands châteaux ayant même suivi les conseils de Robert Parker ( « une nouvelle hausse des prix serait une erreur » ) et sont allés jusqu’à baisser leurs prix, même si l’on peut reprocher à certains de ne pas l'avoir fait de manière plus significative. Mais si l'on s'intéresse aux tarifs primeurs des seconds vins de la rive gauche en particulier, et aux grands crus de la rive droite (de Pomerol et du classement en vigueur de Saint-Emilion), la tendance est bien moins équilibrée, comme on peut le voir ci-dessous :
Actuellement, c’est la cotation sans précédent des caisses de Cheval Blanc qui ne passe pas auprès des acheteurs et négociants. Selon les cours londoniens de Liv-Ex.com, pour le prix d’une caisse de Cheval Blanc 2010 (estimé à 98-100/100 selon Robert Parker), on peut acheter trois caisses de Cheval Blanc 2001 (noté 93/100) ou une caisse et demie de Cheval Blanc 2005 (noté 96/100). Les experts critiquent la stratégie des domaines qui mettent en vente des vins plus chers que les millésimes actuellement sur le marché. Les grands crus répondent à une logique de produits de luxe, et vont jusqu’à la la transposer à leurs seconds crus, dissociant dangereusement rareté de cherté.
Par ailleurs, la mise sur le marché de petites allocations (approximativement le tiers de la production des grands crus) exaspère également les acheteurs potentiels, les prix ne pouvant que continuer augmenter. Ainsi, la seconde tranche de Château Lafitte vient d’être mise en vente, la bouteille valant 1 000 €, soit une augmentation de 67 % par rapport à la première tranche, ce qui ne devrait pas manquer de créer un nouveau tollé parmi les acheteurs, voire achever de décourager du haut de gamme bordelais les acheteurs de toutes nationalités.
[ Source : Decanter.com ]
[Photo : Thomas Sanson, Mairie de Bordeaux]