rrêter les herbicides, cela tourne parfois au casse-tête. Bruno Prieur en a fait l’expérience. « Nous avons une parcelle en terrasse de 45 ares dont seule une petite partie est mécanisable. Il y a dix ans, nous avons supprimé les désherbants et commencé par laisser l’herbe pousser sur le rang, en la tondant à la débroussailleuse à dos », raconte ce vigneron à la tête du domaine Pierre Prieur et fils, à Verdigny-en-Sancerre, dans le Cher.
Mais, sur ce sol séchant et caillouteux, la vigne a perdu trop de vigueur. Alors, au printemps dernier, Bruno Prieur s’est résolu à désherber à la pioche. Un chantier plus lourd que prévu ! « À deux, il nous a fallu trois semaines. Nous ne tenons pas à recommencer ! », affirme le vigneron.
Dans l’espoir de trouver mieux, il a testé un feutre de paillage sur trois rangs. Bonne pioche ! « Nous avons posé des bandes de 50 cm de large en avril. Elles ont bien empêché l’herbe de pousser », rapporte-t-il.
Pour pouvoir pailler ses vignes en place, Bruno Prieur a demandé à son fournisseur de fendre la bande sur la moitié de sa largeur tous les mètres, la distance de plantation sur le rang. « La pose prend du temps. Il faut bien placer le feutre. Comme le sol est très caillouteux, nous avons dû le fixer sur le côté avec des agrafes en U pour éviter que le vent ne le soulève », souligne-t-il.
Ce feutre coûte 1,40 € le mètre linéaire, soit près de 4 000 €/ha. « C’est cher, consent le vigneron. Mais cette parcelle de sauvignon blanc de 25 ans donne de beaux raisins avec lesquels nous élaborons une cuvée bien valorisée. Nous tenons à la conserver dans notre gamme. »
Au bout d’un an, le paillage est encore en bon état. Cette année, Bruno Prieur va couvrir une vingtaine de rangs de plus, soit 1 000 mètres linéaires avec des bandes de 60 cm de large cette fois, afin d’avoir moins à tondre dans l’interrang. « Nous entretenons celui-ci avec une tondeuse à fil réglée pour passer au-dessus du feutre sans l’abîmer, explique-t-il. Nous espérons que ce feutre tiendra trois ans, ce qui divisera d’autant le coût. Nous espérons aussi retrouver un meilleur rendement, comme la vigne sera moins concurrencée. »
À Venteuil, dans la Marne, Luc Coulournat a choisi d’enherber en plein ses 3,4 ha lorsqu’il a arrêté les désherbants, il y a vingt ans. « Je ne voulais pas avoir à travailler le sol, car cela prend beaucoup de temps. Et c’était aussi une solution pour réduire la vigueur amenée par le porte-greffe SO4 », indique le vigneron.
Avec le temps, malgré des tontes régulières, la vigueur a trop baissé dans ses parcelles sur sols maigres. Si bien qu’il a décidé de pailler les rangs. « J’ai opté pour des bandes de feutre de 1,4 m de long, livrées en piles sur des palettes. C’est long à distribuer et à poser. Des fentes étaient préparées pour le passage des ceps, mais il a fallu en rajouter pour les piquets », détaille-t-il.
Pendant le confinement de l’hiver 2021, Luc Coulournat a consacré un gros mois à poser ce paillage sur 1,7 ha. « J’arrivais à faire 5 ares par jour », précise-t-il. Comme la zone est peu ventée, son fournisseur lui a dit qu’il n’était pas nécessaire d’ancrer les bandes. Mauvaise pioche ! Au début, le vent en a quand même soulevé quelques-unes puis, avec les pluies, le feutre s’est bien plaqué au sol et ne s’est plus envolé. Le paillage fait 40 cm de large, ce qui laisse une bande enherbée de 60 cm dans l’interrang. « Je l’entretiens par des tontes, en réglant la hauteur des fils pour ne pas accrocher le feutre », précise Luc Coulournat.
Avec des rangs espacés d’un mètre, le vigneron a dépensé 7 600 €/ha hors pose. « C’est cher. Mais cela m’évite d’avoir à tondre sur le rang à un moment où il y a beaucoup de travaux à mener en même temps », apprécie-t-il. Cette année, il va pailler 20 ares supplémentaires, en optant pour le feutre en rouleau à découper sur place. « Je vais voir si c’est plus rapide à poser. Avant d’aller plus loin, je veux également vérifier si le feutre dure vraiment trois ans, et si l’effet sur la vie du sol et sur la vigne est positif. Si j’arrivais à regagner un peu de vigueur, cela vaudrait la peine de tout pailler. »
Bruno Prieur et Luc Coulournat ont acheté des feutres Thorenap Vigne de Sothexto, une société qui s’active pour se développer en viticulture. Ce paillage biodégradable est constitué de 50 % de jute et 50 % de chanvre et pèse 1 400 g/m². Sothexto promet une durée de vie de trois ans. « Pour ne pas accélérer la dégradation de nos feutres, il faut éviter de les accrocher avec des outils », souligne Alice Reumaux, responsable technique viticulture.