omment tailler les vignes gelées ? Face à l’ampleur et au caractère inédit des dégâts, les conseillers viticoles de l’Aude ont fait appel à Laurent Torregrosa, professeur à l'Institut Agro de Montpellier, dans l'Hérault, pour y voir clair. Au printemps et à l'automne, ce spécialiste de la biologie de la vigne s’est rendu dans de nombreuses parcelles pour observer en détail les conséquences de cet épisode de gel si intense. Ce 24 novembre, il vient échanger avec les conseillers audois et répondre à leurs questions lors d’une réunion à Lézignan-Corbières.
« Début avril, la plupart des vignes avaient déjà débourré depuis plusieurs semaines et les bois étaient réhydratés, rappelle-t-il. Le cambium, qui donne naissance aux vaisseaux transportant la sève, avait repris son activité juste sous l'écorce. Avec des températures qui sont descendues jusqu'à - 8°C, il y a eu des dégâts à l'intérieur du bois et pas seulement sur les jeunes pousses herbacées ». Ces dégâts se traduisent par des nécroses du cambium, voir du bois lui-même qui présente alors des zones brunes et desséchées lorsqu'on pratique une coupe.
Dès l’exposé terminé, les questions fusent. « Dans les plantiers, vaut-il mieux continuer à former les jeunes vignes à partir d'un rameau partant du haut ou faut-il repartir du bas du pied ? », demande Olivier Féraud, un des conseillers présents ce jour-là. « Avant de prendre une décision, mieux vaut vérifier sur quelques ceps s'il y a ou non des lésions au niveau du cambium », conseille Laurent Torregrosa. Pour cela, il faut faire des incisions avec un greffoir. « Cela prend un peu de temps mais c'est utile. S'il y a des lésions, celles-ci vont freiner la circulation de la sève et donc la nutrition de la vigne, ce qui compromettra sa vigueur et sa longévité ». Dans ce cas, il vaut mieux repartir avec un rameau partant du bas du pied même si cela fait perdre un an. Par contre, s’il n’y a pas de dégâts, on peut choisir un rameau vigoureux du haut.
Nicolas Sourd, un autre conseiller, enchaîne. « Dans les vignes âgées, il y a des bras affaiblis sur lesquels très peu de bourgeons ont redémarré, voire aucun. Faut-il rabattre ces bras pour en faire repartir de nouveaux, et si oui, à quel moment ? ». Dans ce cas de figure, Laurent Torregrosa conseille de ne pas intervenir cet hiver car cela risquerait de relancer un cycle d'expression de l'esca. « Le ravalement d'un bras est une opération traumatisante et ce d'autant plus qu’il n'est pas complétement mort, car la partie vivante doit alors cicatriser. Il vaut mieux le laisser se dessécher et attendre l'année prochaine pour le couper, même si c'est plus difficile à faire avec du bois sec », note-t-il.
Puis il soulève un autre point. Cet automne, il a observé des ceps avec une vigueur bien différente d’un bout à l’autre. Pour les rééquilibrer et rétablir leur architecture, « il ne faut surtout pas supprimer les quelques sarments qui ont démarré sur les bras ou les cordons faibles, car cela aggraverait le déséquilibre, relève-t-il. Mieux vaut conserver ces rameaux même s'ils ne sont pas fertiles. L’an prochain, ils serviront de tire-sève et permettront à ces parties d'être mieux nourries et donc de récupérer plus vite.
« Et s'il y a peu de gourmands, faut-il essayer de recéper ? », demande Miguel Delucchi un autre conseiller. « Tout dépend de l'intensité des symptômes. Si sur un même cep, il y a des têtes mortes, des rameaux aoûtés seulement à la base et des bourgeons qui redémarrent au milieu du vieux bois, l’avenir de ce cep est compromis », estime Laurent Torregrosa. Dans ce cas, mieux vaut l'arracher. Quant à la parcelle qui l’héberge, on l’arrachera ou on la complantera en fonction du pourcentage de ceps condamnés et de sa valeur patrimoniale.
Soucieux de ne pas parler que de dégâts, Laurent Torregrosa souligne alors qu’il a aussi observé beaucoup de vignes qui ont bien redémarré, avec une belle végétation, des bois bien aoûtés et des réserves qui devrait être correctes compte tenu de la petite récolte. « Dans ce cas-là, est-ce que la fertilité des bourgeons sera normale au printemps prochain ? », demande Eric Le Ho, un autre conseiller. « L'induction florale, bien que retardée, s'est déroulée dans de bonnes conditions. A vigueur équivalente, un sarment développé après le gel sera aussi fertile qu’un sarment issu d’une pousse épargnée par le gel. Des lors, s’il y a suffisamment de jolis bois pour la taille, il n'est pas nécessaire de laisser plus de bourgeons à fruits que d'habitude. C'est même à éviter car cela réduirait d'autant le nombre de bourgeons à bois. Et l'an prochain, il faudra produire des raisins et des bois », répond Laurent Torregrosa.
Dernier sujet abordé, la nutrition des vignes. Laurent Torregrosa estime qu’il est inutile de leur apporter du phosphore ou de la potasse car la petite récolte n'a exporté que très peu de ces éléments minéraux. Par contre amener 10 à 15 U/ha d'azote rapidement assimilable au début du printemps sera bénéfique. « Cela favorisera la sortie des gourmands. Il y aura un peu plus d'épamprage à faire. Mais cela permettra d'avoir plus de bois pour finaliser la restructuration des ceps ».
Pour Laurent Torregrosa, les parcelles en 2ème ou 3ème feuille qui ont beaucoup tardé à redémarrer méritent un examen particulier. Il conseille d’enlever l'écorce de quelques ceps sur quelques centimètres de long, à l’aide d’un greffoir, pour voir si leur cambium est bien vert ou s’il présente des zones sombres et nécrosées. « Cette observation est à faire sur les deux côtés du pied où il n'y a pas d'insertion de rameaux, précise Laurent Torregrosa. C'est là, dans ces parties plus bombées, que la sève circule le plus activement et que le cambium peut avoir subi le plus de dommages. Toute lésion risque de limiter les performances vasculaires des ceps et d’accentuer à moyen terme leur sensibilité aux maladies du bois. S'il y en a, mieux vaut les reformer à partir d'un gourmand repartant en-dessous des lésions ».