La vigne n’a pas échappé cette année à des événements climatiques extrêmes, parfois des reliquats de dommages engendrés les années précédentes. Ainsi, l’Australie, comme le Chili dans une moindre mesure, ont souffert de pics de température pouvant atteindre 50°C dans le premier cas, tandis que le vignoble sud-africain se remet toujours de trois années de sécheresse extrême. Ces facteurs se sont conjugués pour diminuer globalement le potentiel de production dans la plupart des pays. En revanche, le niveau qualitatif est souvent jugé excellent. Sur le plan des volumes, les premières estimations ont souvent été révisées à la baisse : c’est le cas par exemple en Argentine, où la prévision est passée de 2,5-2,6 millions de tonnes à 2,35-2,45 MT, et en Australie où un niveau maximum de 1,6 MT est désormais prévu, contre 1,7 MT en 2018. L’organisme professionnel sud-africain Vinpro, se basant sur des chiffres recueillis par SAWIS, évoque une récolte 2019 potentiellement inférieure à celle de l’an dernier (9,5 Mhl). « Les baies et les grappes sont plus petites, plus légères et moins denses que d’habitude », explique François Viljoen, responsable du service viticole chez Vinpro. « Cette tendance peut être imputée à des conditions défavorables pendant la floraison et la nouaison en octobre et novembre, et à des épisodes de vent supérieurs à la moyenne au début de l’été ».
Torres prévoit une baisse des volumes au Chili
Au Chili, des producteurs de premier plan comme la maison Torres invoquent également des conditions climatiques parfois difficiles, dont quelques gelées et des pics de température ayant provoqué des incendies, pour expliquer une légère baisse de la production attendue cette année. « Il est encore difficile de s’aventurer sur des chiffres par rapport à 2018 en raison du fait que, même si le nombre de grappes est bon, elles semblent avoir moins de baies et être plus légères », a observé Eduardo Jordán, directeur œnologique chez Miguel Torres Chile. « Si je devais parier, je dirais que c’est une année de production légèrement à la baisse, où les variétés les plus sensibles à la coulure et celles ayant les débourrements les plus précoces seront les plus affectées ». Les faibles précipitations risquent de toucher également certaines zones non irriguées. Si ces impressions se confirment, ce ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour la filière chilienne : après une bonne récolte en 2018, l’Office des études et politiques agricoles (Odepa) a fait état d’un volume de stocks à la fin de 2018 supérieur de 21% à celui de l’année précédente. Les stocks totalisaient en effet 12,3 millions d’hectolitres fin 2018.
Une vague de froid laisse du temps aux producteurs en Argentine
De l’autre côté des Andes, les craintes d’une grosse production étant désormais dissipées, les producteurs se focalisent sur la qualité du millésime. « Le printemps et le début de l'été ont été frais au point que nous avons effeuillé une partie des vignobles », explique le Français Vivien Morvan, en charge de la production de Rutini Wines, qui vinifie entre 60 000 et 70 000 hectolitres par an depuis 2017 à Tupungato, dans la province de Mendoza. « Nous avons eu par la suite une très forte vague de chaleur durant 2 semaines qui a accéléré la maturité technologique sans pour autant nous donner satisfaction avec la maturité phénolique. Depuis maintenant plus d'une semaine un front froid est arrivé et il semble s'installer. Cela nous donne du temps pour arriver aux maturités phénoliques nécessaires à l'élaboration de nos vins. Nous espérons une très bonne qualité pour cette année 2019, au même niveau que les 2 derniers millésimes qui ont été exceptionnels. Pour les rendements, nous sommes dans les moyennes des dernières années ».
Le Français Vivien Morvan, en charge de la production chez Rutini Wines à Tupungato en Argentine
L’incertitude économique impacte le secteur vitivinicole argentin
Faisant partie de La Rural Viñedos y Bodegas SA fondée en 1885 par Felipe Rutini à Maipu, la société élabore plus d’une cinquantaine de cuvées pour des positionnements prix allant de 10 USD à 300 USD. Contrairement à d’autres entreprises argentines qui ont souffert des déboires économiques du pays, Rutini a vu sa production monter en flèche, malgré le fait que ses vins sont majoritairement destinés au marché local. Seuls 30% des vins issus de ses 255 hectares de vignes réparties sur trois vignobles partent à l’export, fait plutôt rare à Mendoza, où la plupart des bodegas sont très orientées vers les exportations. Néanmoins, la situation économique argentine rend les investissements compliqués. « Nous vivons avec une économie très instable, avec 30% d'inflation par an! Aujourd'hui les banques prêtent à un taux annuel de 60% d'intérêt. C'est un frein énorme à l'investissement », reconnaît Vivien Morvan. Malgré cela, Rutini a réussi à investir de façon significative dans son outil de production : son chai à barriques compte plus de 5 000 barriques, la cave a acquis en 2011 la première trieuse optique d'Argentine, à la vigne elle travaille depuis deux ans avec l'aide d’un drone équipé d’une caméra multi spectrale et elle vient de souscrire à un service d’imagerie satellite par exemple. Rutini souhaite désormais se tourner vers l’oenotourisme. « Le projet est déjà dessiné mais il requiert un investissement très important. Il comprend un bâtiment de réception et de dégustation pour les touristes au dessus de la cave permettant une vue à 360 degrés sur les Andes et la vallée de Uco ». Le gouvernement entend apporter de l’aide aux entreprises grâce à des prêts et de l’assistance, mais il faudra un certain temps pour que ce soutien porte ses fruits.
Rutini Wines se classe parmi les domaines les plus anciens et les plus respectés d’Argentine
De faibles rendements en Nouvelle-Zélande
De l’autre côté du Pacifique, en Nouvelle-Zélande, l’oenotourisme fait également partie des priorités pour bon nombre de caves situées dans la plus grande région productrice, Marlborough. Le domaine Saint Clair, qui contrôle 600 hectares de vignes dont 300 en propre, est de celles-là. Son restaurant, le Vineyard Kitchen ouvert 7 jours sur 7, lui offre une belle vitrine pour son éventail étendu de vins. Majoritairement axée sur le sauvignon blanc – à 70% - sa production comporte aussi du pinot noir, chardonnay, pinot gris, gewurztraminer, riesling et grüner veltliner, pour ne citer qu’eux. Son œnologue Heather Stewart est particulièrement enthousiaste sur le potentiel du millésime 2019. « Nous prévoyons un niveau qualitatif élevé, quel que soit le cépage, et nos vins en fermentation sont certainement très beaux. Le pinot noir montre une robe exceptionnelle et des tanins équilibrés. Dans des millésimes comme celui-ci, nous avons très peu à faire en matière de vinification. Je pense que les vins exprimeront bien le terroir cette année. Nous sommes enchantés par ce que nous sommes en train d’élaborer, ce qui est bien après deux millésimes un peu difficiles ». Sur le plan des volumes, une floraison moins efficace que prévu et des conditions climatiques chaudes et sèches en janvier et février ont réduit le potentiel de production à Marlborough. « Cette baisse de rendement, qui a porté notamment sur les pinots noirs et les chardonnays, a donné naissance à une intensité exceptionnelle au niveau gustatif », se console Heather Stewart, qui reconnaît aussi l’impact positif de cette réduction volumique sur les prix dans une région où la demande reste supérieure à l’offre.
Heather Stewart, œnologue au domaine Saint Clair à Marlborough, dans le Vineyard Kitchen
L’importance des choix viticoles pour surmonter la sécheresse
La baisse des disponibilités posera quand même quelques soucis. C’est le cas au Clos Henri, propriété néo-zélandaise de la famille Bourgeois de Sancerre. « Les petits rendements sont surtout pénalisants en pinot noir car une année de plus nous serons forcés d’allouer une quantité à chaque client permettant d’assurer péniblement 12 mois de stock », regrette l’œnologue français de ce domaine situé dans la Wairau Valley à Marlborough qui compte 45 hectares de vignes sur un potentiel total de 60-65 ha. Même si les rendements sont plus restreints cette année, notamment pour le pinot noir avec une petite moyenne de 35 hectolitres à l’hectare, Damien Yvon se félicite de l’impact positif des choix techniques qui ont présidé au moment de l’implantation des vignes. « Ce genre de saison nous a rappelé l’importance de choix techniques faits à la création du vignoble. Certes, la sècheresse était prononcée, mais notre vignoble de Clos Henri a bien passé cette période sans trop souffrir. Notre régime de culture biologique, le travail du sol sous le rang pour faire plonger les racines en profondeur sont autant de pratiques rendant la vigne moins vulnérable aux aléas climatiques ».
Viticulture bio et un travail de sol sous le rang distinguent le Clos Henri de ses voisins néo-zélandais
Les vendanges tirent à leur finLa double implantation géographique de la famille permet de comparer les saisons d’un bout à l’autre de la planète : « Avec la famille Bourgeois, nous avons qualifié la saison 2018-2019 de très similaire à la saison 2018 en France. Une saison scindée en deux moitiés : le printemps et début d’été jusqu’à Noel ont été particulièrement humides, affectant notamment la floraison du pinot noir et un peu celle du sauvignon blanc. Juste après Noel, le soleil s’est installé avec un changement climatique radical. De la chaleur et du vent ont très vite séché les premiers horizons du sol ». Des précipitations en mars ont permis de sauver la mise : « Malgré des acidités plus basses que la moyenne, nous sommes surpris par la sensation de fraîcheur des vins rouges comme blancs. Les 45 mm d’eau reçus mi-mars nous ont sauvés car cela a permis de redonner de la fraicheur à la vigne comme à son raisin ». Les derniers raisins devront entrer en cave le 20 avril, mettant fin à des vendanges particulièrement précoces : « Je crois que nous n’aurons jamais fini de vendanger aussi tôt ! »