« Le Baron de Rothschild disait : faire un grand vin n’est pas un problème, seules les trois cents premières années sont difficiles ! » Ironie à part, le critique français Bernard Burtschy mettait le doigt sur les enjeux auxquels toute région viticole en devenir doit faire face, et laissait entendre entre les lignes que la Chine était encore loin d’avoir identifié ses terroirs de prédilection. De toutes les régions viticoles chinoises, Ningxia jouit d’une des meilleures réputations. Pour preuve, la présence de géants mondiaux comme LVMH et Pernod Ricard mais aussi de viticulteurs locaux de renom comme Emma Gao. La caution apportée par des critiques émérites tels Jancis Robinson n’est pas non plus pour déplaire aux dizaines de domaines de la région – 86 plus précisément – en quête de notoriété. Néanmoins, après une quarantaine d’années de développement acharné, et l’existence d’un vignoble fort, selon les dires des professionnels, d’une trentaine de milliers d’hectares sur une vallée longue de 220 km et large de 30 km, est venu sans doute le moment de se remettre en cause. Des investissements colossaux, consentis à la fois par des investisseurs privés et étatiques, se sont soldés par de magnifiques châteaux et des caves dignes des meilleures propriétés européennes. Mais, est-ce pour tenter d’assurer un retour rapide sur investissement ou à cause des coûts de production élevés – amélioration des salaires et conditions climatiques contraignantes obligent – toujours est-il que le prix des flacons locaux semble rebuter les consommateurs chinois. Un handicap exacerbé par le déficit d’image dont souffrent les vins chinois sur leur marché intérieur.
Baisse de la production sur un marché haussier
Cette conjugaison de facteurs a mis à mal le développement de la commercialisation des vins chinois, malgré l’augmentation globale de la consommation, et selon certains experts, les caves se remplissent. D’où un ralentissement significatif de la production chinoise depuis 2013. « Avant 2012, la production de vin a augmenté de 442% en 11 ans », a précisé le chercheur Shaohua Li. « D’après les soixante plus grandes entreprises vinicoles, elle s’est inscrite en retrait de 37,8% en 2015 par rapport à 2010 ». Dans le même temps, les vins importés ont renoué avec la croissance, soulignant que les problèmes sont bien inhérents au secteur local. Les ambitions expansionnistes n’ayant pas diminué – au contraire, Xi Jingping a réitéré sa volonté d’accélérer le développement du secteur vitivinicole lors d’une visite à Ningxia en 2016 – professionnels et pouvoirs publics cherchent à mieux valoriser cette zone parmi les plus propices à la viticulture en Chine.
Les révélateurs de terroir
« Partout on parle de terroir, le concept est en vogue », lâchait Bernard Burtschy. De là à dire que chaque région viticole en dispose, il est bien moins catégorique. « 97% du marché mondial se compose de bons vins. Très peu sont capables de comprendre de grands vins ». Pour ce dégustateur et consultant aguerri, cette dernière catégorie implique un ensemble de critères que peu réunissent, même s’il s’agit davantage d’interventions humaines que d’attributs naturels : l’adéquation entre le cépage et le sol, la sélection massale, des rendements limités, la biodynamie, l’absence d’irrigation, l’utilisation de levures indigènes et l’absence de corrections œnologiques telles l’acidification. Autant dire que la Chine, et la région de Ningxia, en sont peu pourvues. Et Bernard Burtschy de marteler à une assistance chinoise venue nombreuse écouter les conseils occidentaux pour amorcer un nouveau virage, que certains choix sont imparables dans la révélation du terroir : « Les levures permettent la traduction du terroir dans le vin, donc il faut qu’elles soient indigènes. Certains cépages sont également des révélateurs de terroirs comme le riesling, le pinot noir et la syrah, et d’autres moins, comme le sauvignon et le malbec. La viticulture biologique et la biodynamie, comme cela se pratique au Domaine de la Romanée Conti par exemple depuis plus de trente ans, contribuent aussi à mettre en avant le terroir ».
Les précipitations sont passées d’environ 210 mm par an à près de 600 mm cette année à Ningxia à cause du changement climatique, ce qui a créé un véritable casse-tête pour les vignerons.
Le terroir : mythe ou réalité ?
Quid du sol alors ? Hormis un niveau de pH élevé – plus de 8 à Ningxia – qui modifie le profil organoleptique des vins, joue sur l’assimilation des nutriments et oblige à acidifier les vins, la problématique chinoise ne semble pas tant relever des typologies de sols que des contraintes climatiques. Allant à l’encontre de la recommandation de Bernard Burtschy, les viticulteurs de Ningxia, avec seulement 216 mm de précipitations par an, ont obligatoirement recours au Fleuve Jaune pour irriguer leurs vignes, notamment en début de saison, très aride. L’arrivée précoce de l’hiver raccourcit la période végétative et limite le choix des cépages – certains parviennent difficilement à maturité – ce qui met à mal l’adéquation optimale entre le cépage et les sols. Cela signifie-t-il pour autant que cette région au pied de la montagne de Helan, à la frontière de la Mongolie intérieure, ne dispose pas des pré requis pour un jour faire émerger des vins de terroir ? Ou bien, la notion de terroir comme atout intrinsèque d’une région et non d’une autre, serait-elle un mythe ? « Joseph Krug disait que pour faire un grand Champagne, il fallait des raisins sains, de bonnes barriques, une bonne cave et un bon maître de chais », ironisait encore Bernard Burtschy, tout en rappelant par ailleurs avec sérieux que « pendant longtemps Petrus était inconnu. Madame Loubat a découvert comment l’élaborer ». Avec la volonté de réussir, de se valoriser correctement, et de se développer fortement, Ningxia a donc encore de l’espoir.
La main de l’homme capitale
Les propos du Master of Wine Pedro Ballesteros Torres n’auront fait que mettre du baume au cœur des vignerons de Ningxia. Allant bien plus loin que Bernard Burtschy dans son plaidoyer en faveur du rôle de l’homme dans le vin, il a rappelé l’aspect somme toute éphémère des grands terroirs. Citant l’exemple du vin le plus cher et le plus recherché de l’Antiquité – le Falerno – mais aussi les nectars des îles Canaries et de l’Egypte, Pedro Ballesteros a rappelé à quel point l’homme influe sur la montée, et la disparition, des grands vins – « et pourtant le terroir est toujours le même ». Peut-on parler de terroir naturel dans le Bordelais, s’est-il interrogé, lorsqu’on sait que ce sont les Hollandais qui ont asséché les marécages du Médoc ? « On est loin de la perception de conditions naturelles propices à la culture de la vigne ! » Rappelant que le Douro a été « créé » à force de dynamite et d’intervention humaine, le Master of Wine a également souligné : « Brunello di Montalcino n’existait pas dans les années 1940. C’était une invention de Biondi Santi dans les années 1950 et 1960 qui a connu un immense succès aux Etats-Unis. Désormais, les connaissances et le temps permettent de sous-diviser la zone en plus petits terroirs ».
Quels critères pour créer une région viticole de qualité ?
Les exemples de ce type sont légion, dans tous les grands pays producteurs, et selon Pedro Ballesteros, les mêmes moteurs de développement continuent de présider à l’émergence de nouveaux terroirs, comme ceux de la Virginie aux USA ou de l’île de Santorin en Grèce. « Pour développer une région viticole de qualité, plusieurs conditions sont requises : il faut qu’elle soit intimement liée au pouvoir économique et politique ; il faut un pionnier comme le Marquis de Pombal au Portugal, Biondi Santi ou Penfolds en Australie, elles ne se développent jamais toutes seules ; il faut des règles de propriété très claires pour sécuriser les investissements sur le long terme ; les infrastructures doivent être au rendez-vous, comme le train dans la Rioja ou le port de Bordeaux ; et la reconnaissance à l’extérieur du pays est indispensable », a-t-il affirmé, citant le Jugement de Paris pour la Californie, les Russes pour le Champagne et le Royaume-Uni pour le Rheingau. Dernier critère et non des moindres, l’innovation : « La tradition annonce la mort. Nous évoluons en permanence, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les vins ? Le succès du Prosecco est là pour démontrer l’importance de l’innovation tandis que celui des grands châteaux bordelais est aujourd’hui lié à la recherche ». Et de conclure : « Lorsque toutes ces conditions sont réunies, il s’en suit une capacité à connaître le terroir. Celui-ci est le résultat de toutes ces conditions ». Ce qui est certain, c’est qu’en l’occurrence, Ningxia réunit bien bon nombre d’entre elles.
*Cette manifestation a été organisée du 14 au 16 septembre à Yinchuan par la société Vinopres, organisatrice du Concours Mondial de Bruxelles entre autres, et le Beijing International Wine & Spirit Exchange, en collaboration avec les organismes professionnels et pouvoirs publics locaux.