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Quand les pâtes et les pizzas ne suffisent plus pour exporter les vins italiens
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Italie
Quand les pâtes et les pizzas ne suffisent plus pour exporter les vins italiens

Cette semaine, Vinitaly a organisé son roadshow à Shenzhen, Changsha et Wuhan en Chine pour promouvoir une cinquantaine d’entreprises italiennes et plus de 300 cuvées auprès des professionnels chinois. Mais derrière cette opération conjointe, la promotion des vins italiens commence à donner lieu à de sérieuses inquiétudes. Silvana Ballotta, directrice de l’agence BS Business Strategies qui met en œuvre les programmes financés par les fonds européens dédiés à la promotion dans les pays tiers, explique les difficultés auxquelles sont confrontés les exportateurs à l’heure actuelle.
Par Sharon Nagel Le 15 juin 2018
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Quand les pâtes et les pizzas ne suffisent plus pour exporter les vins italiens
Silvana Ballotta de Business Strategies a mis en place un partenariat avec le Shanghai Morning Post pour promouvoir les vins italiens en Chine - crédit photo : Business Strategies
L
es fonds européens posent problème

Giovanni Busi, président du plus grand consortium italien, celui du Chianti, vient d’écrire au nouveau ministre de l’Agriculture Gian Marco Centinaio pour l’alerter sur le manque de réactivité des pouvoirs publics à propos de la poursuite des programmes de promotion financés par l’Union européenne. Déjà en 2017, des voix se sont levées pour dénoncer le retard dans le versement des fonds. Cette année, Giovanni Busi affirme que l’appel à propositions pour la période 2018-2019 dans le cadre du programme de promotion dans les pays tiers de l’OCM vin n’a pas encore été diffusé. Par voie de presse, il a déclaré cette semaine que « toute la promotion à l’étranger est en danger, nous accumulons trop de retards et de sérieux retards… Nous risquons de compromettre sérieusement les activités promotionnelles de l’automne qui, comme toujours, sont dirigées vers les pays asiatiques tels que la Chine et le Japon ».

Notons que, parmi les grands pays producteurs de l’Union européenne, c’est l’Italie qui dédie la plus grande somme à la promotion prévue dans le cadre des mesures liées à l’OCM. Pour 2018, ce montant est chiffré à 101 997 000 euros contre 75 M€ pour la France et 50 M€ pour l’Espagne. Depuis 2014, le volet promotionnel au niveau italien n’a cessé d’augmenter, passant de 72 M€ lors de la première année du programme à près de 102 M€ cette année. Jusqu’à présent, les Italiens ont été très habiles dans l’attribution des fonds européens, comme le constate Silvana Ballotta : « tout au long de ces années, il n’y a aucun doute que la filière vitivinicole italienne a appris à formuler ses demandes de manière efficace et à utiliser l’intégralité du budget total annuel accordé par l’Union européenne ».

 

La formule gagnante restauration et vin s’essouffle

Malgré l’envergure du budget, de nombreux observateurs italiens pointent des défaillances au niveau de l’utilisation des fonds, liées pour partie à une stratégie globale qui s’avère de moins en moins adaptée au marché mondial. « En Italie, nous avons tendance à sous-estimer le pouvoir de la promotion et du positionnement de la marque », note Silvana Ballotta. « La tendance à réaliser des promotions « spot » et « single brand » aux Etats-Unis a fait des dégâts et a déjà mis à mal encore plus sérieusement notre position dans des pays comme la Chine où l’Italie n’est même pas en concurrence avec la France mais avec le Chili, l’Australie et l’Espagne ».

Plus perturbant encore, l’alliance qui a assuré la réussite initiale de l’Italie à l’export – à savoir son réseau de restauration couplé à ses vins – est en train de perdre de sa pertinence. « Les restaurants ont permis aux vins italiens de faire florès aux USA. Ils ont été les principaux vecteurs par lesquels nos vins sont arrivés sur la table des Américains. Malheureusement, le vin devient un produit autonome, déconnecté de toute autre activité et surtout de l’alimentation, qui elle-même est en train de subir une révolution. Dans ce nouveau contexte, soit vous avez bien travaillé et votre marque est facile à repérer par les consommateurs, soit vous perdez vos clients au profit de vos concurrents qui ont mieux travaillé l’aspect de la promotion et de la marque ».

 

La difficulté de renouveler les marchés

Ce qui inquiète les exportateurs italiens, ce sont non seulement les difficultés éprouvées outre-Atlantique, mais aussi la nécessité de passer outre l’hégémonie créée par leurs trois grandes destinations à l’export. « Les exportations de vins, certes toujours en progression, doivent viser des alternatives aux trois grands marchés que sont les USA, le Royaume-Uni et l’Allemagne », affirme Pierpaolo Penco, analyste auprès du cabinet Wine Intelligence. Et de noter que les investissements promotionnels réalisés par l’Italie en Chine « ont engrangé des résultats bien moins significatifs que ceux de leurs concurrents (France, Australie, Espagne et Chili) ».

Silvana Ballotta rejoint son point de vue : « ce qui s’est passé en Asie, c’est que tout le monde voulait sa part du gâteau sans réfléchir aux conséquences. Par conséquent, nous avons été confrontés à une guerre des prix entre producteurs italiens, ce qui ne peut que nuire à une stratégie durable. Nous avons porté préjudice à l’image des vins italiens à long terme et sommes désormais en concurrence avec des vins moins chers comme ceux d’Australie et du Chili ». L’exemple italien montre aussi à quel point il peut être hasardeux d’essayer de transposer une stratégie d’une région du monde à une autre : « La stratégie adoptée aux Etats-Unis, à savoir l’utilisation des restaurants comme plateforme pour promouvoir et commercialiser les vins italiens, n’a pas fonctionné en Asie où la culture et les traditions gastronomiques sont très fortement enracinées et diffusées parmi la population locale ».

 

Monter dans le train du commerce électronique en Chine

Sous l’égide de Business Strategies, une nouvelle tactique baptisée Absolute Italy Lifestyle a donc été adoptée, en collaboration avec le principal groupe d’édition de Shanghai, le Shanghai Morning Post. A l’occasion de Vinexpo Hong Kong, un collectif de 22 entreprises italiennes était présent pour lancer sur WeChat une nouvelle plateforme de commerce électronique. Cette boutique virtuelle offre une vitrine aussi bien pour des cuvées de haut de gamme que pour des entrées de gamme et vise à positionner l’offre italienne sur le créneau hautement porteur du commerce électronique. « 19% des achats de vins passent maintenant par le web, ce qui représente la part la plus élevée des ventes de vins en ligne dans le monde », rappelle Silvana Ballotta.

« Notre projet est soutenu par le concept de l’art de vivre italien. Nous nous appuyons de façon active sur la mode, le design et la musique pour promouvoir le vin et la gastronomie italiens ». Autre domaine où l’analyste estime que l’Italie a fait défaut par le passé : la formation. Ce volet est désormais intégré dans le programme d’actions : « La formation représente notre outil principal. Nous avons lancé la première Académie du vin italien opérant de façon régulière et nous nous en servons pour cibler les prescripteurs et les sommeliers, leur apportant des outils pour promouvoir les vins italiens ».

 

Un manque de formation en aval, et en amont

La formation des opérateurs italiens eux-mêmes est en passe d’être reconnue comme défaillante également, et à l’origine de certaines problématiques rencontrées aujourd’hui. « Les producteurs italiens ont besoin d’être informés sur l’ensemble du système de distribution, de comprendre où partent leurs bouteilles et à quels prix », note l’analyste. C’est dans ce même contexte qu’un nouveau « Comité de soutien aux politiques du marché du vin » a été crée sous la houlette de l’organisme italien Coldiretti et regroupe des entreprises de premier plan comme Bellavista et Donnafugata. Dans un communiqué, celle-ci affirme vouloir « offrir aux entreprises viticoles les bons outils pour faire face aux marchés internationaux et intervenir sur la promotion de l’OCM vin pour tenter de corriger les distorsions et de cibler plus efficacement le financement ». Et de reconnaître que « les caves n’ont pas toujours la connaissance nécessaire des goûts et des tendances qui dictent les préférences d’achat dans les réalités internationales individuelles… Le risque qui en découle est de mal orienter les activités et efforts de promotion, voire même les choix de production eux-mêmes… »

Quelle que soit la structure dont émanent les signaux d’alarme et les préconisations, le message global est clair : les exportations italiennes sont arrivées à la croisée des chemins et une remise en question majeure s’impose si la filière doit se réinventer sur les grands marchés mondiaux.

 

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