e 10 avril dernier, à Paris, bien loin des vignes et du terrain, Grands Chais de France et Evoc-Vinadeis ont signé, sous les flashs des journalistes, une convention de partenariat avec l’Anivin et l'IFV pour la création ex nihilo de vignobles dédiés à la production de Vins de France. Ces vignobles sont baptisés innovants éco-intensifs (VIE) car ils sont pensés et conduits pour produire 15 à 20 tonnes/ha tout en limitant les coûts de production et en préservent l’environnement. Autre particularité : l’écoulement des vins est garanti. Grands Chais de France (GCF) et Vinadeis s’engagent à acheter la récolte aux exploitants selon un contrat à long terme.
GCF ou plutôt sa filiale languedocienne, le Domaine de la Baume, a contractualisé avec la cave coopérative d’Ouveillan dont un jeune adhérant, Bastien Campoy, exploitera le vignoble à haut rendement. Le second projet est porté par Evoc (union des caves de la Malepère et de Razès) et Vinadeis. Ce vignoble sera implanté en 2019 sur la ferme expérimentale de Bonanza appartenant à la coopérative de distribution Arterris (Bram dans le Lauragais).
Ces deux projets répondent au cahier des charges rédigé par l’Anivin et l’IFV. Ils seront suivis par l’IFV qui assurera le support technique. Ils feront office de vitrine et pourront être visités par toute personne intéressée par le sujet. Ces vignobles seront-ils rentables comme leurs promoteurs en sont convaincus ? C’est tout l’objectif de cette expérimentation inédite qui démarre.
Bastien Campoy a 29 ans. Il travaille la vigne depuis deux ans après une première vie professionnelle en tant que mécanicien. Coopérateur à la Cave d’Ouveillan, il a choisi de se lancer dans l’aventure. Et il se montre optimiste quant à la réussite de l’expérimentation. « Je n’ai pas d’inquiétude. Ce mode de conduite, les Italiens le pratiquent depuis longtemps avec succès ! » lâche-t-il.
Le vignoble qu’il exploitera sera implanté à Truilhas (Aude) sur des terres achetées tout spécialement par GCF. Comme prévu par le cahier des charges, il couvrira 30 hectares. « C’est un des critères retenus pour l’expérimentation. Nous avons estimé que c’est la surface minimale pour assurer une rentabilité à un tel atelier de production », indique Eric Serrano, en charge du projet pour l’IFV.
Le cahier des charges stipule aussi que les rangs doivent mesurer au minimum 200 mètres de long de manière à limiter les coûts de mécanisation. La parcelle de Bastien Campoy remplit largement ce critère : elle mesure 400 mètres de long. Elle est plantée à 4000 pieds/ha sur des sols argilo-calcaires comportant de nombreux galets.
« Des analyses de terre ont été réalisées avant de choisir la parcelle et afin de déterminer les porte-greffes, le plan de fumure, le besoin éventuel de drainage », précise Eric Serrano. Ces analyses et l’objectif de rendement visé ont conduit à retenir le vigoureux Paulsen comme porte-greffe principal et le SO4.
Concernant les cépages, le cahier des charges VIE en retient trois principaux, en lien avec les attentes du marché : le chardonnay, le sauvignon et le cabernet sauvignon. Bastien Campoy plantera du chardonnay. « Le cahier des charges laisse également une place au merlot et éventuellement à un cépage teinturier, l’alicante. De plus, il prévoit de faire entrer des cépages résistants pour 15 % dans les assemblages » précise Eric Serrano. Pour le jeune vigneron, ce sera du Floréal qu’il plantera l’an prochain.
Ce vignoble pilote sera taillé mécaniquement et planté à 2,5 m x 1 m. Les vignes seront donc conduites sur un seul fil, en cordon avec de piquets de palissage de 1 mètre de haut pour faciliter le travail des ouvriers qui passeront pour une reprise manuelle après la tailleuse. Concernant l’écartement des piquets, l’IFV préconise 5 mètres. Sur la parcelle de Bastien Campoy, ils seront implantés à 4 mètres les uns des autres. « Nous avons choisi de les resserrer car nous souhaitons mettre toutes les chances de notre côté pour avoir des fils les plus tendus possible et faciliter la taille mécanique », souligne Frédéric Glangetas, responsable exploitation au Domaine de la Baume. Inhabituels en viticulture, les fils porteurs sont type arboricole : ils mesurent 3 mm de diamètre pour une bonne résistance.
« Tout l’enjeu est que les fils, les piquets de tête et les piquets supportent le poids de la vendange. Il faut donner le maximum de rigidité possible au système », souligne Eric Serrano. En taille mécanique, les trois premières années sont une période délicate durant laquelle la végétation peut se renverser, comme le cordon est encore souple. Pour éviter cela, il faudra rogner tôt et assez court.
Enfin les vignes, seront fertirriguées par des installations soit enterrées (à 25/30 cm de profondeur), soit aériennes selon les caractéristiques des sites. « Les deux ont leurs avantages. A Truilhas, l’îlot est situé en pleine réserve de chasse, il y a donc des dégâts des lapins », déplore Bastien Campoy. C’est l’une des raisons qui conduit l’IFV à préconiser la version enterrée. Mais pas seulement. « Avec la ferti-irrigation enterrée, le passage du desherbage mécanique ne sera pas gêné. Enfin, ce type d’implantation n’a, à ma connaissance, pas de points négatifs avérés », souligne Eric Serrano.
Ce dernier glisse que l’IFV mènera une expérimentation en positionnant les tuyaux d’irrigation au milieu du rang sur une petite surface. « Cela permettra d’irriguer la vigne en période végétative et d’alimenter le couvert végétal en hiver de manière pour favoriser l’implantation des engrais verts » précise Eric Serrano. Une technique qu’il a pu observer en Argentine. Décidément, les VIE n’ont pas fini de surprendre.
Estimation de la rentabilité d’un Vin de France Chardonnay
120 hl/ha 75 euros/hl
Revenu/ha
9000 euros
Coût global de production vinifiée
6266 eurosMarge/ha
2734
======= Revenu pour un îlot de 30 ha : 82 020 euros/an
Estimation de la rentabilité d’un Vin de France merlot
120 hl/ha 65 euros/hl
Revenu/ha
9750 euros
Coût global de production vinifiée
6958 eurosMarge/ha
2792
======= Revenu pour un îlot de 30 ha : 83 760 euros/an
Estimations du calcul des charges
Investissement plantation
26820 euros/ha
Durée amortissement plantation
20 ans
Durée production
25 ans
Coût de l’entretien annuel
Amortissement : 191 euros/ha Entretien : 1060 euros/ha Main d’œuvre : 962 euros/ha2213 euros/ha
Charges de structure
750 euros/ha
Frais de vinification
18 euros/ha
Taux de vinification
130 kg/hla
1 Implantation du vignoble : conçue pour la taille mécanique et une forte productivité
2 Cépages : choisis en fonction de la demande du marché et objectif de 15 % de cépages résistants dans l’assemblage
3 Fertirrigation : pilotée en fonction du stress hydrique de la vigne à partir de sonde dans le sol et des préconisations du modèle Walis
4 Entretien du sol : le désherbage chimique autorisé uniquement sous le rang. L’objectif est de réduire de 60 % l’IFT herbicide.
5 Protection du vignoble : respecter les préconisations des BSV, suivi des données météos, pulvérisation confinée. L’objectif est d’avoir un IFT en dessous de la moyenne du secteur.
6 Taille mécanique : l’objectif est de favoriser la régularité du rendement, d’avoir une petite taille de baie favorables à l’expression aromatique.
7 Economie : suivi de 40 indicateurs économiques pour analyser finement la rentabilité du modèle.