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Une opportunité manquée pour les vins ?
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La mode du "craft"
Une opportunité manquée pour les vins ?

En novembre dernier, l’enseigne discount Aldi lançait une gamme de vins « craft », ravivant ainsi le débat sur la pertinence du concept pour le marketing du vin. La filière aurait-elle tout intérêt à capitaliser sur une notion dont elle semble être la détentrice légitime, ou a-t-elle déjà manqué le coche ?
Par Sharon Nagel Le 28 juillet 2017
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Une opportunité manquée pour les vins ?
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uccès phénoménal des bières et spiritueux

Aux Etats-Unis, le marché des « craft beers » ou bières artisanales valait 23,5 milliards de dollars en 2016, en hausse de 10 % alors que la catégorie globale était en stagnation*. Toujours en 2016, les « craft spirits » représentaient 15 % des nouveautés dans le domaine des spiritueux au niveau mondial, contre 5 % en 2011**. Autant dire que le phénomène attire toujours autant d’adeptes dans ces deux catégories, alors que dans le domaine du vin, seules quelques tentatives timides se sont manifestées. Pourquoi les opérateurs n’ont-ils pas franchi le pas, vu le succès phénoménal engrangé par les bières et les spiritueux, non seulement aux Etats-Unis mais quasiment sur tous les marchés ? La question se pose d’autant plus que les facteurs qui ont conduit à la montée en puissance du mouvement « craft » sont toujours aussi présents, voire plus que jamais.

 

Des marges bénéficiaires considérables

« Le concept de craft correspond à une réaction des consommateurs à l’encontre d’un secteur qui était devenu hyper industrialisé, notamment celui des bières », explique Jonny Forsyth, analyste chez Mintel à Londres. « Quelques géants contrôlaient le secteur et proposaient des bières plutôt insipides, qui ne permettaient quasiment pas de différenciation entre marques ». Entrent en scène alors quelques brasseurs à dimension humaine manifestant la volonté d’élaborer des bières plus savoureuses, à plus petite échelle et faisant l’objet de tous les soins.

Leur arrivée a coïncidé avec une meilleure mise en valeur de la gastronomie, notamment dans des pays comme les Etats-Unis où, là aussi, l’alimentation était devenue hyper industrialisée. Nous sommes vers la fin des années 1980, c’est dire le temps qu’il aura fallu pour que le mouvement « craft » dans le domaine des boissons alcooliques prenne son envol. « L’explosion de cette tendance a commencé autour de 2007 en Amérique puis s’est propagée dans le reste du monde, incitant d’autres secteurs et notamment celui des spiritueux, à s’engouffrer dans la brèche. Les opérateurs y étaient attirés par les marges bénéficiaires très importantes et la prédisposition des consommateurs à débourser davantage dès lors que les codes du craft sont présents ».

 

Des évolutions sociétales

Si le concept reste, il faut le dire, plutôt vague – le lancement d’une gamme de « craft wines » par Aldi le démontre bien – il n’en demeure pas moins que certaines caractéristiques sont incontournables dans l’esprit des consommateurs. Un produit « craft » est typiquement élaboré à petite échelle par des entreprises de préférence locales, à base d’ingrédients qualitatifs. Il propose des saveurs inédites ou originales et est commercialisé par le biais d’un réseau de distribution restreint. Il correspond à une tendance à privilégier la qualité au détriment de la quantité, et à la montée du « locavorisme ». « Il y a dix ans, en Angleterre, les gens sortaient pour s’enivrer. Cette mentalité a profondément évolué. Peut-être que certains d’entre eux cherchent toujours l’ivresse, mais ce qu’ils recherchent avant tout, c’est une belle expérience de consommation, de la même façon qu’on ne souhaite pas manger dans les fast food lorsqu’on sort le soir », explique Jonny Forsyth. L’expérimentation constitue l’un des leitmotivs des produits craft. « Les boissons craft innovent beaucoup en matière de saveurs et les consommateurs sont en quête de saveurs différentes. C’est ce que veulent surtout les jeunes générations, et c’est ce qu’on ne leur proposait pas auparavant ».

 

Recruter les consommateurs de demain

La génération dite Millenial, née après 1980, représente effectivement le cœur de cible pour cette typologie de produits. « Globalement, ce sont surtout de jeunes consommateurs urbains, mais avec deux exceptions. Les plus jeunes d’entre eux, tout juste majeurs, ont tendance à être plus conservateurs en matière de préférences gustatives. Ils tenteront l’expérience craft de temps à autre, mais la vraie cible est âgée de 25 à 40 ans lorsque le palais devient plus expérimenté. Au-delà de 50 ans, les gens ont leurs petites habitudes et se montrent beaucoup plus sceptiques quant à la véracité de ce type de concept ». Cette cible de consommateurs – les 25-40 ans – constitue le saint graal pour tout opérateur soucieux de pérenniser son marché, qu’il s’agisse des vins, bières ou spiritueux.

Comment expliquer alors que les entreprises vinicoles n’aient pas emboîté le pas aux acteurs du monde des bières et spiritueux et ne se sont pas emparées davantage du concept « craft » pour séduire les consommateurs de demain ? « La stagnation du marché de la bière a constitué l’un des moteurs du mouvement craft. Or, aux USA, par exemple, le vin affiche toujours une tendance haussière », rappelle l’analyste. Citons également, un certain conservatisme dans le domaine du vin, et même une méfiance vis-à-vis du marketing des produits craft. Car, le positionnement marketing – avec son packaging et son langage particuliers – est tout aussi important que les caractéristiques intrinsèques du produit, même si le profil gustatif a son importance, comme le montre la mode actuelle des « sour » ou amer pour les bières.

 

Renforcer l’aspect artisanal du vin par le storytelling

La réticence de la filière vitivinicole est-elle justifiée ? « Le mouvement craft reste marginal dans le domaine du vin », confirme Jonny Forsyth. « Personnellement, je conseille à mes clients vins d’en profiter davantage car le vin est naturellement un produit artisanal. C’est la définition même du craft – un vignoble de proximité à partir duquel de petites cuvées sont élaborées – mais les entreprises vinicoles ne racontent pas cette histoire. D’où la difficulté pour les consommateurs d’identifier le vin comme un produit craft et d’établir une interaction à ce niveau-là ». Certains qualificatifs, notamment celui de garagiste, existent déjà pour décrire des domaines de petite taille qui bichonnent leurs cuvées.

Mais selon l’analyste de Mintel, c’est à travers le storytelling que les producteurs peuvent promouvoir l’aspect artisanal de leurs vins. « Les professionnels ont tendance à oublier qu’en réalité, les consommateurs ne savent pas grand-chose sur le vin. Ils sont, pour certains, conscients du côté artisanal mais l’essentiel, c’est de donner vie à cette histoire et de raconter pourquoi le vin est « craft ». Les marques de bière y parviennent avec brio alors qu’elles ont très peu de contenu réel ». Elles réussissent ainsi à personnaliser l’histoire de la marque, souvent en mettant en valeur le côté outsider. « L’histoire tourne souvent autour d’un personnage qui a travaillé dur pour surmonter l’adversité et les difficultés ».

Mieux valoriser les micro cuvées

Paradoxalement, le berceau même du mouvement « craft » - les Etats-Unis – n’a pas saisi les possibilités offertes dans le domaine du vin. « Les seuls exemples que j’ai vu où les producteurs ont véritablement adopté le concept proviennent de la Nouvelle-Zélande », constate Jonny Forsyth. Et de citer le cas d’une cave néo-zélandaise qui a organisé un concours où plusieurs œnologues devaient élaborer une cuvée chacun avec la même matière première, à leur façon. Résultat : à chaque œnologue sa cuvée identitaire. « Ce type d’innovation est le propre du vin. Je pense que la filière pourrait en tirer davantage parti ». Chaque cave possède, en effet, sa rangée de barriques où séjourne toute sorte de vin de cépage ou d’assemblage à des fins d’expérimentation. Mais bien souvent, les micro cuvées finales ne sont pas proposées aux consommateurs. Or, elles correspondent à la définition même de « craft », d’autant plus que les déclinaisons possibles dans le domaine du vin sont inépuisables. De même, pourquoi ne pas envisager de valoriser l’élaboration de micro cuvées dans des établissements dédiés, comme la City Winery aux USA, à l’image des micro brasseries où restauration et brassage font bon ménage. « C’est une façon de rendre le vin plus accessible et d’encourager les clients à déguster différents types de vins ». Voire de participer directement à leur élaboration.

 

Exploiter les passerelles entre catégories de produits

Reste aussi, d’après l’analyste chez Mintel, à modifier le packaging pour se rapprocher des codes du craft. « Le langage utilisé sur les étiquettes de vins est souvent abstrait et difficile à comprendre. Les bières artisanales, si elles ne rechignent pas à utiliser des hyperboles pour décrire le produit, emploient des termes qui décrivent mieux le goût ». Le format de la bouteille ne serait pas adapté non plus : « La bouteille de 75 cl n’a pas de sens pour le consommateur d’aujourd’hui. Ce n’est pas ce qu’il recherche. De plus, un format unique crée un « mur » de produits qui n’aide pas le consommateur à naviguer dans le rayon vins ». Aldi a choisi quant à lui, de lancer une bouteille de 50 cl commercialisée au prix consommateur de 2,99 £ et coiffée d’une capsule. Des codes sortis tout droit du monde de la bière. Cherchant à déstructurer la commercialisation du vin, l’enseigne discount visait à capter une cible de consommateurs – masculins notamment – adeptes des bières et spiritueux craft. « Il existe bel et bien d’importantes passerelles entre les hommes qui consomment les produits craft et ceux qui boivent du vin rouge par exemple, à l’instar des passerelles qui existent entre les grands amateurs de bières et de cafés », confirme l’analyste.

 

Une belle piste pour les MDD

Interrogé sur le bilan de sa gamme « craft » au bout de six mois de commercialisation outre-Manche, Aldi a reconnu l’avoir retirée. Il ne faut pas pour autant en déduire que ce concept ne soit pas adapté au vin. Un positionnement prix – l’équivalent de 4,50 £ pour une bouteille de 75 cl – qui était tout sauf l’ultra premium qu’on attend du craft, ainsi que l’image discount de l’enseigne signaient sans doute une initiative vouée à l’échec. Jonny Forsyth estime quant à lui que d’autres détaillants risquent de se lancer dans l’aventure du « craft wine ». « Je ne serais pas étonné de voir une enseigne comme Marks & Spencer suivre cette voie. Il ne fait aucun doute que le craft représente une belle opportunité pour les marques de distributeurs qui fonctionnent bien dans le domaine du vin à cause de la « tyrannie du choix » ». S’il est impossible de chiffrer la fuite des consommateurs de vins vers les bières et spiritueux craft, l’importance d’épouser ce concept réside dans le recrutement des jeunes consommateurs. « Les producteurs de vins doivent comprendre que nous vivons une période extrêmement concurrentielle parce que les consommateurs boivent moins d’alcool et que le vin va perdre des amateurs. Les résultats ne le reflètent peut-être pas encore, mais l’impact se fera ressentir au cours des dix prochaines années. Nous ne savons pas combien de temps encore va perdurer la tendance du craft – elle peut durer encore dix ou vingt ans, on ne le sait pas – mais si vous n’exploitez pas une nouvelle tendance lorsqu’elle se présente, vous passez à côté d’une belle opportunité ».   

 

*Selon la Brewers Association

**Selon Mintel

Tags : USA
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