Il y a 15 ans, qui aurait pu imaginer que le rosé pamplemousse connaisse un tel succès ou que les Bib atteignent la part de marché qu’ils occupent aujourd’hui ? ». En quelques mots, Bertrand Praz, directeur des achats vins des Grands Chais de France, a résumé le message essentiel délivré par les experts marketing qui l’ont précédé à la tribune lors du colloque organisé par l’ICV ce jeudi 22 juin à Montpellier SupAgro : anticiper les tendances de consommation, identifier les demandes latentes sont les clés du succès de l’innovation, dans le vin comme dans tout autre domaine.
L’idée de l’ICV de faire intervenir sur une même journée experts marketing, experts techniques et des producteurs et négociants sur le thème de l’innovation a fait mouche, le grand amphi de SupAgro affichait quasiment complet avec un auditoire représentatif de l’ensemble de la filière : caves coopératives, vignerons indépendants, consultants et œnologues.
Jean-Philippe Perrouty, directeur de Wine Intelligence France, a commencé par exposer les quatre grandes tendances de consommation, observées au niveau mondial : le bien-être, le durable et le collaboratif, la nécessité de stimuler en permanence le consommateur, le caractère express : « le consommateur veut tout plus vite en faisant le moins d’efforts possible ». « Ce sont des tendances générales, qui concernent toutes les catégories de produits et pas spécifiquement le vin. Observer ce qui se passe pour d’autres produits donne des idées sur les évolutions possibles sur le marché du vin », précise-t-il.
Ainsi le bien-être trouve écho sur le marché du vin avec la demande du consommateur pour des vins moins alcoolisés. « C’est une tendance lourde. En 2016, sur les enquêtes que nous avons réalisées, la moitié des consommateurs britanniques indiquent que le degré est un critère d’achat important. C’est 8 % de plus qu’en 2013. Les vins avec moins d’alcool donnent une impression de fraîcheur et de légèreté. Le succès du Pinot Grigio sur le marché britannique en est la parfaite illustration ». Le durable et le collaboratif peuvent tout autant s’appliquer au vin. La spectaculaire percée des vins bio en témoigne. « Mais aujourd’hui, le bio n’est plus suffisant. Il faut faire du durable », insiste l’expert. Enfin, concernant la nécessité de stimuler en permanence le consommateur peut s’illustrer dans le vin à travers la recherche de diversité. 57 % des consommateurs américains déclarent aimer découvrir des vins nouveaux, tendance illustrée par le succès des cépages confidentiels comme l’Albarino, le Torrontès (cépage blanc argentin) ou encore le Piquepoul.


Après la théorie, la pratique. Producteurs et négociants ont donné des exemples concrets d’innovations récentes. Pour Pernod Ricard, l’innovation répond à une définition précise : la capacité de convertir des idées en revenu. Au sein du groupe, cette mission est confiée à une start-up, Winnovation Lab, créée à l’écart des autres sociétés du groupe, et entièrement dédiée au développement de nouveaux concepts dans le monde du vin. Dotée d’une cave expérimentale basée sur le site de Campo Viejo dans la Rioja, la start-up a récemment lancé le concept 000 Cata Cero, des cuvées à base de cépages rares : Tempranillo blanc, Maturana blanc. Ces cuvées confidentielles (1 000 bouteilles chacune) sont ensuite diffusées essentiellement sur le Net et le consommateur est invité à donner son avis, participant ainsi à leur mise au point.
Le groupe coopératif Vinovalie a, lui, présenté sa nouvelle cuvée Démon Noir comme un « vin de recrutement ». « Le Cahors souffre d’une image vieillissante. Pour recruter de nouveaux consommateurs, nous avons travaillé sur le cépage Malbec, dégusté tout ce qui faisait de mieux sur le marché mondial et modifier nos process de vinification obtenir un profil de vin comparable aux Malbec les plus vendus sur le marché mondial. C’est surtout la structure tannique qu’il a fallu travailler pour gommer l’astringence. Lancé en 2011, Démon Noir, Malbec en IGP Lot, est aujourd’hui commercialisé à plus de 1 million de cols par an », a expliqué Olivier Cabirol, directeur adjoint du groupe.
Avec leurs nouvelles cuvées Entrecôte, Camembert, Fruits de Mer… lancées en 2015 sur les marchés export, Les Grands Chais de France ont choisi de surfer sur l’engouement pour la gastronomie observée surtout sur les marchés émergents, mais également perceptible en France à travers le succès des programmes télévisés sur la cuisine. « L’idée était de toucher de nouveaux consommateurs, plus jeunes, intéressés par le concept », explique Bruno Praz. En rouge, l’Entrecôte est un profil produit très coloré, mûr et concentré, sucré (14 g/l) avec des tannins très discrets. L’étiquette, conçue dans le même esprit, est un vrai livre de cuisine, offrant un packaging très différenciant pour sauter aux yeux sur un linéaire. Le produit a trouvé son public. « C’est un des plus beaux lancements de ces dernières années. On a du mal à suivre, le sourcing est compliqué. Il nous faut des raisins mûrs et concentrés qui sont difficiles à trouver ».


Le témoignage de la société espagnole Torres a porté sur un nouveau mode de distribution pour reconquérir la clientèle des jeunes. « En Espagne, le vin souffre de la très forte concurrence de la bière, boisson simple et festive, alors que le vin est perçu comme complexe, prétentieux, inabordable, vieux et poussiéreux ». Pour dépoussiérer cette image, le groupe espagnol a choisi d’aller à la rencontre des jeunes sur les festivals de musique, avec son Torrès Wine Tour. Avec une carte des vins adaptée et une communication via les réseaux sociaux qui sort « des codes de la langue traditionnelle du vin », les vins Torrès ont accompagné 6 festivals de musique en 2016. « Nous estimons avoir touché 470 000 personnes (25 000 par jour). 33 000 verres de vin ont été vendus, soit 66 de hausse par rapport à 2015 », s’est réjoui Ramon Lopez. L’opération sera reconduite et sans doute amplifiée dans les années à venir avec une probable présence sur un festival en Belgique.