Selon les estimations de Vinpro publiées en mai, la récolte sud-africaine de vins, jus et moûts devrait atteindre 1,4 million de tonnes cette année. Soit un volume de l’ordre de 11 millions d’hectolitres. En hausse de 1,4 % par rapport à l’an dernier malgré des problèmes de sécheresse et de températures élevées, la production 2017 est également jugée très qualitative. De quoi réjouir la filière vin, d’autant plus que celle-ci a constaté par ailleurs, des stocks plutôt faibles, une augmentation des exportations en valeur et une accélération des retiraisons. Qui plus est, l’Afrique du Sud pourra sans doute tirer profit des faibles récoltes constatées ou prévues dans plusieurs gros pays producteurs cette année.
Néanmoins, pour le professeur Nick Vink, il existe une polarisation à l’intérieur de la filière : « Dans le haut de gamme, les opérateurs s’en sortent plutôt bien. Les exportations en direction de la plupart des destinations se portent bien et, même si notre économie nationale est stagnante depuis pas mal de temps, les ventes de vins semblent être en progression. En revanche, à l’autre bout de l’échelle, dans l’entrée de gamme, la situation est bien plus compliquée. D’une certaine façon, elle se compare avec celle que vivent les vignerons coopérateurs dans le Sud de la France ». Ces difficultés sont à l’origine d’une régression du vignoble sud-africain ces dernières années : les superficies ont perdu environ 8 000 hectares nets durant la dernière décennie pour s’élever actuellement à quelque 95 000 hectares.
A la question de savoir si cette tendance risque de se poursuivre à l’avenir, le professeur Vink a identifié un facteur majeur qui pourrait la renverser : « Cela dépend de la capacité de la filière à recruter de nouveaux consommateurs parmi la classe moyenne émergente en Afrique du Sud. La classe moyenne à Johannesburg a doublé de taille au cours des 20 dernières années et elle n’a pas encore commencé véritablement à consommer du vin. Si le niveau de pénétration actuel reste stable, la superficie du vignoble n’augmentera pas, c’est une certitude. En revanche, si la filière réussit à accéder à ce marché, nous pouvons la doubler sans aucune difficulté. Nous disposons des ressources nécessaires – les terres sont disponibles – il ne reste plus qu’à activer ce potentiel ». Autre élément clé, une meilleure valorisation des exportations : « Nous sommes bien connus sur le marché international, mais nous exportons à des prix unitaires plus faibles que tout autre pays. Si nous parvenions à monter en gamme, les répercussions seraient particulièrement positives. La filière doit y travailler, cette inversion de tendance n’interviendra pas automatiquement ».
Il faut reconnaître que le secteur sud-africain est conscient de ces problématiques et a mis en place un plan stratégique, WISE, avec un système de communication régulière de données pour suivre les progrès au fur et à mesure de l’avancement du projet. Mais certains obstacles au déroulement des mesures ne sont pas maîtrisables par la filière : « Le premier problème rencontré porte sur les dysfonctionnements économiques en Afrique du Sud. Le deuxième concerne la tempête politique que nous subissons. Le climat politique a un impact sur l’économie parce que la volonté d’investir dépend de la confiance des opérateurs en l’avenir. Les investissements dans le secteur vitivinicole portent sur des périodes allant jusqu’à 20-25 ans et je pense que cette confiance fait défaut ». Les améliorations technologiques de ces dernières années ont permis de compenser la régression des superficies – avec moins de vignobles, les Sud-Africains produisent autant de vins. Mais pour le professeur Vink, ce phénomène a ses limites, même à court terme.
En effet, nombreux sont les opérateurs qui croient que l’Afrique du Sud se trouve à la limite de ses possibilités pour fournir le marché international à bas prix. Ce qui ne signifie pas, selon le professeur d’économie, que les opérateurs doivent renoncer aux expéditions en vrac. « Je ne pense pas que ce soit une option réaliste ni souhaitable. Nous pouvons expédier des vins en vrac moins cher que tout autre pays au monde, quelle que soit la destination et à tous les niveaux qualitatifs. Ainsi, notre dépendance actuelle sur le vrac ne s’explique pas uniquement par le fait que nous n’avons pas d’autres alternatives mais parce que le vrac nous offre un atout stratégique. En même temps, nous voulons éliminer l’entrée de gamme la plus basique et encourager la production de vins plus qualitatifs ». Pour mieux orienter l’offre en fonction de la demande, une meilleure connaissance des marchés s’avère capitale.
Le secteur sud-africain est plutôt atomisé en comparaison d’autres pays du Nouveau Monde comme l’Australie. « L’un des inconvénients de l’atomisation d’une filière réside dans la difficulté à obtenir des renseignements pertinents sur l’évolution des marchés. Ces renseignements sont coûteux et les petits producteurs n’y ont pas accès. Le projet WISE tente de pallier ce problème en fournissant des données, mais il est clair que des informations génériques n’ont pas la même valeur que les informations spécifiques aux entreprises ».
De là à prôner une plus forte concentration au sein de la filière, il n’y a qu’un pas, que le professeur Vink ne franchit pas. « Je n’imagine pas que l’on puisse envisager la consolidation du secteur pour résoudre ce problème. L’atomisation constitue un atout car elle nous rend moins dépendants d’un petit groupe de producteurs, de cépages et d’exportateurs de masse. La Nouvelle-Zélande a gagné le pari d’un positionnement prix élevé et son secteur vitivinicole n’est pas particulièrement concentré. A contrario, lorsqu’on se retrouve avec une filière très concentrée comme en Australie, cela ne pose pas de problème quand la commercialisation se passe bien. Par contre, lorsque le vent tourne, cela vous retombe dessus ».
Parmi les pays producteurs du Nouveau Monde, l’Afrique du Sud est sans doute l’un de ceux qui s’apparente le plus au modèle européen. Pour preuve, hormis cette atomisation, la filière privilégie de plus en plus une approche basée sur le terroir. Le South African Wine & Spirit board vient d’ailleurs de valider une nouvelle dénomination, The Wine of Origin Cape Town, qui englobe quatre terroirs autour du Cap : Constantia, Durbanville, Philadelphia et Hout Bay pour un total de 30 producteurs. On est loin de l’approche californienne des AVA couvrant parfois des centaines de milliers d’hectares. Pour Nick Vink, cette particularité représente l’une des plus belles cartes à jouer pour la filière sud-africaine en termes de différenciation.
« Au sein de la Région florale du Cap, nous possédons une diversité de terroirs impressionnante. Il me semble donc que mettre l’accent sur l’aspect terroir de nos vins relève d’une importance primordiale. La plupart des consommateurs étrangers ne connaissent que les vins de Stellenbosch. Certes il y a quelques exceptions – les Américains se passionnent actuellement pour les vins de Swartland – mais globalement, seuls les noms d’Afrique du Sud et de Stellenbosch jouissent d’une vraie notoriété. Des progrès qualitatifs phénoménaux ont été accomplis ces dix ou quinze dernières années, mais les régions concernées devraient mieux se faire connaître. Le message que nous devrions communiquer à l’avenir doit tourner autour de cette diversité ».
Il reste à savoir si le marché domestique sera aussi sensible à ce message que les consommateurs internationaux. Car pour le professeur Vink, la filière sud-africaine doit chercher sa planche de salut sur son marché local. « Nous avons étudié la filière sous l’aspect de très longs cycles, remontant à 1700. Depuis cette période, le secteur a connu trois embellies majeures : la première au moment de sa création aux 17ème et 18ème siècles ; la deuxième pendant les guerres napoléoniennes ; et la troisième, entre le moment où Nelson Mandela a été libéré de prison jusqu’en 2004-2005. Dans les trois cas, ce sont les exportations qui ont été les moteurs de la croissance. Si nous parvenons à pénétrer le marché sud-africain au cours des dix prochaines années, l’avenir du secteur vitivinicole sera radieux. Sinon, nous allons devoir attendre que les exportations reviennent à notre rescousse. Et cela pourrait prendre un siècle ! »
Certains observateurs ont associé le surplus de vins blancs, reliquats d’une tradition d’élaboration d’eaux-de-vie, au faible positionnement prix du vrac sud-africain. Pour le professeur Vink, ce problème pèse beaucoup moins aujourd’hui que par le passé. « La plupart des eaux-de-vie sud-africaines étaient élaborées à base de chenin blanc. Au moment où l’apartheid a disparu, le chenin blanc représentait environ 40 % de la superficie du vignoble. A l’heure actuelle, sa part ne dépasse pas 15 % et la plupart des raisins servent à produire des vins plus qualitatifs, commercialisés en bouteille ».