Réponse affirmative si l’on en croit la Master of Wine britannique Sarah Abbott, co-animatrice d’une masterclass dédiée à la commercialisation des vins de style méditerranéen à New York et à Londres lors de Vinisud. « Une identité méditerranéenne aurait tout son sens, à condition de la rendre pertinente. Vendre des vins méditerranéens, c’est vendre tout un art de vivre, évocateur de notions comme l’équilibre, la convivialité et le partage, la chaleur au sens propre comme au sens figuré, un mode de vie sans stress et la possibilité de profiter des bons moments. Ne sous-estimez jamais l’importance du soleil dans la vie des Britanniques ! ». Son point de vue est partagé, avec des nuances, par Jean-Philippe Perrouty, directeur France de Wine Intelligence, qui a présenté la première vague de résultats de l’Observatoire économique des marchés internationaux de vins méditerranéens mis en place en collaboration avec les organisateurs du salon. « Le mot Méditerranée est évocateur à l’export et il peut être intéressant que des dénominations/marques peu connues à l’étranger s’appuient dessus … De plus, c’est un mot que les étrangers peuvent prononcer ».
Des liens ténus ?
Néanmoins, Jean-Philippe Perrouty a rappelé que l’identité méditerranéenne est loin d’être acquise, en particulier pour les vins français : « La Provence représente un cas à part mais elle est surtout connue sous son identité propre et non pas en tant que région méditerranéenne à proprement parler ». Affirmant avoir des doutes quant aux liens entre l’Espagne et la Méditerranée dans l’esprit des consommateurs, il reconnaît que l’aspect « joue à plein pour l’Italie. Celle-ci représente un idéal auquel on aspire, évoquant l’art de vivre et les vacances. Une image renforcée par les nombreux restaurants italiens dans le monde ».
50% des exportations mondiales de bulles sont méditerranéennes
Le succès des vins italiens découlerait-il justement de leur capacité à incarner tous les aspects positifs de la Méditerranée ? En serait-il de même pour les rosés de Provence, moteurs de la croissance de la catégorie depuis quelques années ? La réussite des deux est en effet indéniable. L’Italie a vu ses exportations bondir de 8% entre 2013 et 2015 pour atteindre 14,1 millions d’hectolitres, selon les chiffres de l’observatoire économique WI/Vinisud, tandis que la Provence a vu ses exportations multipliées par quatre ou cinq au cours de la dernière décennie aux Etats-Unis. Ce sont là, les deux principaux fils conducteurs expliquant la performance actuelle des vins méditerranéens : d’un côté les rosés, qui ont engrangé des résultats phénoménaux avec les Etats-Unis en fer de lance ; de l’autre, les vins italiens, d’abord le pinot grigio puis les effervescents. Les bulles méditerranéennes – sous l’impulsion notamment du prosecco puis dans une moindre mesure du cava – ont fait un bond de 27% en deux ans (2013-2015) avec 3,6 Mhl exportés en 2015, dont un million pour le seul Royaume-Uni, en hausse de 75% entre 2013 et 2015. Car si les Etats-Unis se sont montrés friands de rosés, le marché britannique a opté lui pour les bulles. « Des marchés matures comme le Royaume-Uni et la Belgique ont été complètement relancés grâce aux bulles, notamment celles de la Méditerranée. Avant, on parlait de déclin sur ces marchés », a noté Jean-Philippe Perrouty. Par conséquent, une bouteille sur deux d’effervescents exportés dans le monde provient des régions méditerranéennes.
La France ne reste pas en marge du phénomène prosecco/cava
Son avis est partagé par l’acheteur belge de la chaîne Mestdagh (84 magasins), Julien Marson : « Le prosecco fait l’objet d’un véritable engouement en Belgique », a-t-il confirmé. Même la France n’y résiste pas, les bulles italiennes et espagnoles envahissant de plus en plus linéaires, restaurants et autres bars à vins. S’agirait-il d’un phénomène de mode ou d’une tendance durable ? « Si l’on regarde ce qui s’est passé au Royaume-Uni et en Belgique, une mode est devenue une tendance bien ancrée. Les Français ne sont pas plus bêtes que les autres, ils se sont aperçus qu’ils pouvaient faire la fête pour bien moins cher, en déboursant 10€ la bouteille au lieu de 25€ » a souligné l’analyste de Wine Intelligence. Et de noter par ailleurs que « le succès du cava en France s’explique aussi par son réseau de distribution très bien structuré. Le prosecco bénéficie également d’un bon réseau. Donc pourquoi cette tendance ne se poursuivrait-elle pas ? ». Reste à savoir si certains produits français seraient à même de la contrecarrer : « Les futures bulles méditerranéennes françaises pourraient peut-être ralentir leur croissance ».
Mais les vins méditerranéens ne se résument pas aux effervescents, surtout pour la France qui ne représente qu’une part infime (1%) des exportations. « Globalement, sur le marché belge, les vins du Sud, notamment ceux du Languedoc, font figure de produits tendance », a affirmé Julien Marson. « Ils ont su retravailler leur image. De plus, le Sud de la Belgique a une affinité naturelle avec le Sud de la France grâce aux vacances et il y a une vraie demande pour de beaux Languedoc, le Rhône étant tendance aussi. Les autres régions françaises ont tendance à dormir un peu sur leurs lauriers. Les gens cherchent des pépites et on en trouve dans le Sud de la France ». La France a une belle carte à jouer avec, entre autres, ses rosés. Sous l’impulsion des jeunes générations – les Millenials – la catégorie représente l’un des gros moteurs de croissance sur le marché américain. Selon l’observatoire WI/Vinisud, 66 millions de consommateurs américains boivent du rosé, couleur qui s’arroge désormais une part de 17% des volumes consommés contre 12% en 2007. Ce sont notamment les « Millenial Treaters » qui portent la croissance. « Ils ont bien intégré le rosé dans leurs habitudes de consommation », a noté Jean-Philippe Perrouty. Résultat : la croissance des rosés importés est dix fois plus rapide que celle de l’ensemble des vins tranquilles aux USA, une montée en puissance dont la Provence a pleinement profité, voire même qu’elle a impulsée.
Sortir des sentiers battus
Autre carte à jouer : les cépages autochtones ou variétés tombées en disgrâce. « Les cépages autochtones représentent votre arme secrète », a lancé Sarah Abbott. Certains pays se sont déjà frayé un chemin grâce à leurs variétés indigènes, et inimitables. C’est le cas de la Grèce notamment, qui a fait une belle percée aux Etats-Unis, malgré un léger déficit qualitatif au départ et des noms difficilement prononçables. « On trouve désormais des vins grecs à des tarifs élevés dans les restaurants gastronomiques de haut niveau », a affirmé Christy Canterbury MW. « Le service au verre peut permettre d’implanter des vins peu connus car le consommateur minimise ainsi les risques ». Pour sa part, une autre Master of Wine, Elisabeth Gabay a mis l’accent sur le potentiel de cépages « cendrillon », comme le carignan. « Autrefois, c’étaient les chevilles ouvrières de la production. Désormais, avec de bonnes pratiques viticoles et des vignobles en altitude, ils peuvent donner des vins sophistiqués et gastronomiques ». La restauration sert indéniablement de porte d’entrée privilégiée à des marchés comme les Etats-Unis, à condition de sensibiliser les sommeliers en les faisant vivre l’expérience méditerranéenne en direct. « Dans la restauration, cela peut rapporter gros mais il y a tout un travail de séduction à réaliser », a conclu Sarah Abbott.
Wine Intelligence a inclus 17 pays dans le périmètre de l’étude. Pour la France, seules les régions Sud-Ouest, Languedoc-Roussillon, Provence, Vallée du Rhône et Corse, AOP comme IGP, ont été englobées. Cet ensemble de pays et de régions a représenté une production de 77 Mhl en 2014, soit 28,4% de la production mondiale, dominée par l’Italie avec 32,6 Mhl à elle seule. Globalement, la production méditerranéenne a progressé de 5% entre 2010 et 2014. La commercialisation des vins méditerranéens implique pour les deux tiers les différents marchés domestiques, le poids de l’export étant plus significatif pour certains pays que pour d’autres ; c’est le cas notamment de l’Espagne. L’importance des régions méditerranéennes en termes de production est corrélée à celle de ses exportations (28% du total mondial). Exception faite du Portugal, les vins méditerranéens sont globalement mieux valorisés dans les pays tiers qu’au sein de l’UE. Enfin, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne constituent le peloton de tête des destinations à l’export, les deux premiers étant les principaux moteurs de la croissance, tandis que l’Allemagne régresse.