2016 fut, on le sait, une année catastrophique pour l’Argentine du point de vue volumique, qualifiée de pire récolte depuis 56 ans, ce qui a eu pour effet d’accentuer encore le caractère introspectif de la filière vitivinicole. Une récolte inférieure de 30% à celle de l’année précédente, et davantage encore par rapport à la moyenne, a mis en suspens ses ambitions exportatrices, obligeant les gros opérateurs à pallier leurs manques en achetant des vins étrangers, notamment au Chili. Les nouvelles émanant de l’INV seront donc bien accueillies par les professionnels argentins : l’Institut prévoyait, en effet, en fin d’année dernière une hausse de la production 2017 allant de 17% à 29%. La quasi-totalité de ces volumes supplémentaires serait assurée par Mendoza dont les volumes pourraient passer de 10,2 millions de quintaux à 13,8-15,3 millions, soit une augmentation comprise entre 35 et 50% par rapport à 2016. L’an dernier, la province avait essuyé des revers aussi variés que dévastateurs, allant des fortes précipitations et de la grêle aux ravageurs. Certes, la saison 2016 aura également apporté son lot de malheurs : la province de San Juan, notamment, a été impactée par des gelées tardives, mais celles-ci ont touché surtout les raisins de table et les cépages précoces, d’où leur incidence relativement limitée sur la production de raisins de cuve (entre -14% et -5%). Bien évidemment, ces prévisions doivent se confirmer lors des semaines à venir, les précipitations et autres orages de grêle pouvant encore modifier la donne de manière significative.
Les importations : un faux problème ?
Nonobstant ces prévisions nationales favorables, les gouvernements dans les deux principales provinces productrices ont décidé de prendre des mesures pour tenter d’enrayer le recours aux achats de vins de l’autre côté des Andes. Prenant effet en ce début d’année, une nouvelle taxe vient sanctionner les bodegas qui importent du vin ou commercialisent des produits importés sur le territoire provincial. D’après la presse locale, le gouvernement national ne souhaitant pas s’immiscer dans les affaires commerciales du secteur, ce sont les autorités provinciales qui ont décidé d’intervenir. Mais au vu des volumes impliqués, la mesure pourrait être plus politique, pour apaiser les viticulteurs locaux, que réellement punitive. Selon l’Observatoire vitivinicole argentin, environ 3 millions de litres de vins étrangers ont été importés entre janvier et novembre 2016, dont 90% en provenance du Chili ; on est loin d’atteindre les 29 millions de litres importés en 2010. L’année dernière, ce flux a été mis en place notamment par deux opérateurs locaux majeurs, à savoir Penaflor et Fecovita, provoquant un tollé parmi les producteurs argentins. Les premiers cherchaient à limiter les conséquences de la montée en flèche des prix, tandis que les seconds y voyaient une tentative de « punir » les opérateurs locaux dont les prix étaient devenus beaucoup moins compétitifs. « Les prix ont décollé en Argentine et sont très fluctuants », note Sebastian San Martin, co-fondateur de la société Probulkwine, qui opère en Argentine et au Chili. « D’un dollar le litre, nous sommes passés à 2,1-2,2$ en vrac ». Son analyse est partagée par Barbara Smerkin du service export de Penaflor qui évoque, quant à elle, de la spéculation : « Les producteurs ont spéculé sur les effets positifs de la perte des volumes, du nouveau gouvernement et du taux de change ». Et Sebastian San Martin d’abonder encore dans son sens : « Pour ceux qui avaient des vins à vendre, c’était une très bonne année ».
Quelques signes positifs
Est-ce grâce à ce phénomène, toujours est-il que certains gros opérateurs annoncent d’importants projets de développement. Fecovita, qui se présente comme la plus grande coopérative d’Amérique, est de ceux-là. A l’automne dernier, la société, qui regroupe au total 29 coopératives, 54 bodegas, 5 000 producteurs et 25 000 hectares de vignes, a dévoilé sa nouvelle chaîne de conditionnement en BIB, réalisée à travers une alliance stratégique avec Smurfit Kappa pour un coût de près d’un million d’euros. « Grâce à cet équipement de dernière génération, nous pourrons optimiser notre présence sur le moyen de gamme, à fois en Argentine et sur les marchés export, plus particulièrement au Brésil et en Amérique latine, où l’innovation permet de se différencier », a insisté Juan Angel Rodriguez, directeur général de la société qui a commercialisé en 2015, 2 730 000 hectolitres et contrôle plus de 30% du marché local. « En termes de ventes, nous espérons tripler le volume commercialisé dans une catégorie dont la demande augmente », y compris en Argentine, longtemps attachée au format brique. Même si de nombreux indicateurs économiques argentins restent en berne, de nouveaux investissements et une amélioration de la situation de l’emploi laissent espérer aux opérateurs un marché domestique moins morose qu’en 2016. La perspective d’une production en hausse cette année pourrait permettre d’améliorer la compétitivité des vins argentins, et de récupérer des pertes subies notamment sur le plan local et sur le marché export en vrac (-27% entre janvier et novembre 2016).
Ailleurs dans l’Hémisphère sud, les pronostics officiels sur la récolte à venir n’ont pas encore été divulgués. Vers la fin de l’année dernière, si certains opérateurs chiliens se montraient optimistes quant au potentiel de récolte en 2017, le courtier international Ciatti estime qu’il est peu probable que le Chili connaisse une production record. En cause : une météorologie mitigée. De même, l’Afrique du Sud, touchée par des problèmes de sécheresse et de gelées, ne devrait pas connaître de variation importante par rapport à l’an dernier, estime Ciatti, sachant que la récolte 2016 était inférieure de près de 7% à celle de 2015. En Australie, une tempête de grêle et des vents violents en novembre dans les grandes régions productrices que sont Riverland et Sunraysia, pourraient impacter les volumes récoltés, tandis qu’en Nouvelle-Zélande, ce sont surtout les installations de vinification qui pourraient poser problème suite au tremblement de terre du 14 novembre : seuls 2% des vins auraient été perdus dans la région de Marlborough (production 2 Mhl) mais 20% de la cuverie serait affectée.