Aude Rouaux : Nous avons suivi des personnes qui habitent à côté des pesticides, qui se battent pour les interdire, mais aussi qui les utilisent. Les agriculteurs jonglent au jour le jour avec des produits qu’ils savent, au fond, ne pas être anodins, tout en ayant besoin pour vivre. Toute la question est de ne pas se voiler la face sur ce qu’il est en train de se passer.
A l’angle de l’enquête, j’ai préféré celui de l’humain. Ce qui demande du temps ! Le tournage a commencé en septembre 2015 et nous avons suivi trois histoires en Gironde et en Charente, les deux départements les plus touchés par les phytos en France.
A Bordeaux, il s’agit de Valérie Murat, une personne très engagée, militante et pleine de gouaille, ainsi que sa mère Monique, au caractère totalement différent. Suite à la mort de leur père et mari, le vigneron James Bernard Murat, elles ont lancé une procédure judiciaire. Ce qui est rare. D’autant plus qu’elle se base sur un certificat médical établissant le lien entre le cancer et l’exposition professionnelle à l’arsénite de sodium. Dans le vignoble de Cognac, le documentaire suit les époux Didier et Madeleine Sardin, des fermiers charentais, qui ont brutalement perdu leur fils. Mécanicien agricole, Stéphane est décédé d’un cancer foudroyant, très probablement à la suite de réparations de cuves remplies de pesticides. Leur vie a été brisée, et ils se sentent désarmés dans leur recherche de preuves.
On suit également un docteur basé à Chateauneuf-sur-Charente qui a signé une pétition l’engageant à reconnaître les maladies neurodégénératives en rapport avec des pesticides. Ils sont peu à l’avoir fait ! C’est un médecin de campagne qui est en lien avec la population agricole. Nous avons visité la "vallée du lymphome", où sur trente habitations, six ont des cancers des ganglions… C’est un nombre impressionnant ! Les traitements sur les vignes de la vallée sont ramenés dans le fonds habité par les vents. Mais comment prouver le lien ? Contrairement à l’amiante, il est difficile d’établir des preuves avec les pesticides.
Il ne s’agit pas de poser les agriculteurs contre les malades de produits phytopharmaceutiques. Le documentaire est porté par ses personnages, mais je ne tape pas sur la population agricole. Je comprends qu’ils ne peuvent pas vivre sans pesticides. Dans la "vallée du lymphome", nous sommes allés voir un agriculteur pour l’interroger sur sa vision de la situation. Il nous a expliqué qu’à chaque début de mois, il a 13 000 euros de charge et que seuls les produits phytosanitaires lui ont permis de doubler sa surface. Sans eux, il ne peut tout simplement pas faire son métier.
On voit aussi dans le documentaire des viticulteurs bordelais qui nous expliquent que nous sommes bien sympathiques, mais qu’ils ne croient pas dans la bio. Ce n’est pas en claquant des doigts que l’on peut faire sans phyto. Mais il faut prendre conscience que l’on est dans un cul-de-sac, les pesticides peuvent tuer, mais on en a besoin. Que faire maintenant ?