Depuis 1997, je déguste les bordeaux en primeur chaque année. Malheureusement, les vins sont en général plus impressionnants en primeur qu’en bouteille… Bien évidemment, je ne nommerai personne ! » désamorce d’un clin d’oeil taquin Jancis Robinson. Master of Wine, la chroniqueuse anglaise semble aussi captivée que désenchantée par cette présentation annuelle du dernier millésime bordelais. « J’ai des réserves sur l’exercice. Les vins sont très loin de leur état final, et je sais très bien que l’on ne déguste que les échantillons que l’on veut bien nous donner » explique-t-elle, dans un français aux accents moins britanniques que diplomatiques.
Si elle vient se plier de nouveau aux dégustations de vins en cours d’élevage, elle affirme se plier à la demande des lecteurs de son site de dégustations et d’informations, JancisRobinson.com (50 000 lecteurs uniques par mois). « Chaque année, je demande à mes abonnés s’ils souhaitent que je vienne déguster les primeurs. Et chaque année… Ils répondent oui » s’amuse-t-elle, ne mimant qu’un temps le dépit d’une telle obligation. Si l’experte estime que l’évènement a de moins en moins d’importance pour les consommateurs, elle reste intriguée par son avenir. Faisant mine de se demander si la semaine des primeurs existera encore dans cinq ans, elle suppose que oui : « l’histoire des trente dernières années le suggère. Comme la volonté évidente de la place de Bordeaux. »


Si elle sait se montrer caustique sur le jeu des dégustations en primeur, elle réserve ses coups de griffe aux préjugés des consommateurs. Plus particulièrement à ceux qui laissent les étiquettes les plus chères cacher le reste de la production girondine. « Je suis convaincue que Bordeaux a les rapports qualité/prix parmi les plus intéressants au monde. On peut trouver des petits vins magnifiques pour un coût modique » martèle-t-elle.
Egérie des vins de Bordeaux, elle salue leurs évolutions qualitatives : « c’est incroyable par rapport à ce qui était pratiqué il y a 40 ou 30 ans. Ou même 10 ans ! Je tire mon chapeau aux chercheurs de l’université de Bordeaux, et à ceux qui ont utilisé leurs résultats. Comme le regretté Paul Pontallier [NDLR : directeur général du château Margaux, récemment disparu]. »


Après le vibrant éloge, vient inévitablement la pointe d’ironie : « c’est drôle, pendant que l’écart de prix entre les vins de Bordeaux est plus important que jamais, leur écart qualitatif se réduit ». Elle juge même qu’il n’y avait pas de bonnes affaires dans Bordeaux en primeur ces quatre dernières années. Achetant des vins pour le palais de Buckingham (et donc la couronne d’Angleterre), Jancis Robinson n’a ainsi conseillé de commander que des vins de Bourgogne en primeur. Mais elle réserve son mordant pour sa prochaine chronique dans le Financial Times, où elle consacrera une chronique aux « vins de moins de 100 euros qui gagnent vraiment de la valeur après leur lancement en primeur ».
Après la dégustation de 80 vins en primeur ce premier avril, Jancis Robinson estime que ce millésime 2015 « est beaucoup plus charmeur que 2011, 2012, 2013 et même 2014. Mais pour le reste, il est encore un peu tôt pour le dire… Et à plus d’un sens ! » A noter qu’elle boycotte les évènements de l’Union des Grands Crus de Bordeaux, critiquant leur arrêt des dégustations à l’aveugle (« alors que le Grand Cercle en propose toujours »).