uvrant le débat ce 22 mars, Jacky Ferrand plaçait la soirée à la mémoire de son fils, le vigneron charentais Frédéric Ferrand (décédé d’un cancer reconnu maladie professionnelle) : « Quand nous avons commencé le combat, il m’a demandé de rester serein. Et d’amener les gens autour de la table pour discuter. » C’était tout l’enjeu de cette réunion, située au cœur des vignes médocaines* et rassemblant aussi bien des riverains (des instituteurs, aux familles) que des opérateurs du vignoble (des élus, aux ouvriers viticoles).
Mené par l’ouvrière viticole Marie-Lys Bibeyran, le collectif Info Médoc Pesticides est arrivé on ne peut plus satisfait au terme de cette soirée marathon, qui a rassemblé, de 20 heures à minuit, près de 200 participants. Au-delà de la mobilisation (apparemment plus de professionnels que de particuliers), cette réunion publique a surtout posé les jalons pour de prochaines rencontres entre ces représentants de la société civile et les institutions du vignoble.
« J’aimerais que les institutions viticoles m’entendent et se mettent autour de la table, au lieu de véhiculer des rumeurs pour casser la bio ou de rester dans le déni des pesticides. Certes, il faut que les viticulteurs changent leurs pratiques et leurs mentalités, mais ils ne peuvent pas porter seuls toutes les responsabilités », lance l’activiste Valérie Murat (dont le père, le vigneron bordelais James Murat, est décédé des suites d’un cancer reconnu d’origine professionnelle).
Directeur de la communication du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), Christophe Chateau a saisi l’invitation à travailler ensemble, partageant visiblement cette volonté de rencontre. S’il souligne être sur une longueur d’onde proche de celle de Valérie Murat, il relève quelques bémols : « C’est sur les moyens que nous ne sommes pas d’accord. Notre objectif est que la viticulture soit plus responsable et moins dommageable pour l’environnement. Mais, l’interprofession pense que le bio est une solution parmi d’autres, pas l’unique solution. » Et de souligner : « Aujourd’hui, nous avons bien progressé, même s’il y a encore de la marge. »


Cette réflexion fait bondir le vigneron bio Dominique Techer, élu de la Confédération Paysanne à la chambre d’agriculture. Il se dit « effaré d’entendre parler d’améliorations… Les chiffres sont catastrophiques, le plan Ecophyto : c’est Ecofiasco ! Sans résultats, et avec le Certyphyto pour déresponsabiliser les firmes. » Pour lui, le déni du vignoble sur la question des phytos persiste. Il juge que « l’interprofession n’a pas pour but de changer, mais de communiquer sur d’hypothétiques améliorations. »
Plus modéré dans son approche, le docteur Pierre-Michel Périnaud (membre du collectif d’Alerte Médecins Pesticides) appelle également à une réunion avec le CIVB. Ceci afin de « rentrer en discussion pour intégrer à vos cahiers des charges une sélection des produits phytosanitaires. Avant que l’État ne s’en charge, ce choix retirerait les produits avec le plus de casseroles : CMR, neurotoxiques et perturbateurs endocriniens… » Si le CIVB estime ne pas pouvoir se positionner sur ce volet sanitaire, ces produits bénéficiant d’accords de mise sur le marché, la question des parcours de traitements à moindre impact environnemental est posée à nombre de directeurs techniques. À la veille de la prochaine campagne, cette mi-avril, les conseillers de la chambre d’agriculture travaillent notamment à la proposition de parcours sans CMR.
« On ne peut pas mettre dans le même sac tous les pesticides. Sur les 101 matières actives autorisées par le dernier référentiel agrochimique du vignoble, il y en a 54 qui sont des CMR ou perturbateurs endocriniens », précise le docteur Joseph Mazé (également membre du collectif d’Alerte Médecins Pesticides). « Et ce n’est pas la dose qui fait la toxicité avec des perturbateurs endocriniens », souligne Jacky Ferrand, qui exhorte les vignerons à ne plus être les otages des firmes.
Si les riverains sont peu intervenus lors de cette longue soirée**, des vignerons ont rappelé à plusieurs reprises la complexité d’une transition vers des systèmes plus agro-écologiques, qu’ils soient bio ou non. « Le problème est complexe quand on se penche sur son détail. Il faut comprendre que chacun essaie de faire au mieux. Il faut se mobiliser pour soutenir les initiatives, mais aussi pour comprendre nos difficultés quand on n’y arrive pas. Moi-même je ne passe pas le cap de la bio, parce que je manque d’informations et que cela va me coûter trop cher », témoignait le viticulteur Romain Gril (cave coopérative de Listrac).
Un appel à la patience qui n’a pas laissé de marbre à la tribune. « Il faut savoir embrasser les alternatives et changer de métier. De grâce, arrêtez de dire que c’est compliqué », tonne Benoît Biteau, qui se définit lui-même comme un paysan charentais (il est éleveur bio à Sablonceaux). Partisan de la rupture révolutionnaire plutôt que la transition douce, il appelle à « travailler des logiques d’anticipation et pas de fuir en avant avec traitements. Un paysan qui se respecte est un paysan qui cherche des solutions en amont » tranche-t-il, avec un ton peu amène au débat.
* : La première réunion de ce type a eu lieu en 2015 à Cussac.
** : Si ce n’est pour annoncer une attention accrue sur la saison viticole 2016. Comme l’intervention de cet habitant, sur l’AOC Pessac-Léognan, qui annonce préparer des papiers hydrosensibles afin de démontrer la dérive des traitements de son voisin vigneron (qui refuse de lui donner le détail des produits épandus).