’après-midi du 5 mai 2014, un traitement viticole intoxiquait une vingtaine d’écoliers et leur institutrice à Villeneuve-de-Blaye. Un accident qui serait dû à de mauvaises pratiques d’épandage effectué malgré un vent trop fort et la présence d’enfants dans la cour de l’école. Deux domaines viticoles pourraient être responsables, chacun ayant traité des parcelles voisines ce jour-là, l’un en bio, l’autre en conventionnel. Mais les responsabilités n’ont toujours pas été tranchées, une procédure judiciaire en appel suivant son cours devant le tribunal de Libourne (porté par la Sepanso, Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest).
Si l’affaire semble datée par rapport à l’actualité du sujet phyto à Bordeaux, elle reprend une importance de premier plan alors que la campagne de traitements s’annonce. D’un côté comme de l’autre, des courriers ont été officiellement envoyés aux pouvoirs publics pour trancher une question qui reste en suspens.
À l’origine d’arrêtés préfectoraux limitant les traitements à proximité des écoles – et désormais des zones dites sensibles –, l’incident de Villeneuve a marqué un tournant dans la prise de conscience des risques sanitaires dus aux activités viticoles. Ces inquiétudes irriguent depuis la mobilisation de parents d’élèves et de riverains, renforcée par la diffusion de l’émission Cash Investigation (diffusée sur France 2 en février dernier) et particulièrement visible depuis la marche blanche qui a été organisée à Bordeaux. Mené par l’association Générations Futures et le syndicat Confédération Paysanne, ce collectif propose, notamment, que les traitements aux abords des zones sensibles soient obligatoirement bio, présentant selon le collectif moins de danger que les matières actives conventionnelles.


Une proposition qui a fait bondir la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Gironde (FDSEA 33). Pour le syndicat, il s’agirait tout simplement d’une « fausse bonne idée. Le problème de l’épandage concerne tout le monde », argumente le vigneron Patrick Vasseur, vice-président de la FDSEA 33 et de la chambre d’agriculture de Gironde. « Et peut-être encore plus les bio, qui effectuent de nombreux passages pour prévenir les pluies contaminatrices », ajoute-t-il, même s’il reconnaît la nécessité d’une vraie réflexion sur l’aide au choix de programmes de traitements moins toxiques, à savoir non cancérogènes mutagènes et reprotoxiques.
Estimant que l’opinion publique manque d’informations sur le sujet, le syndicat martèle donc que les traitements bio ne sont pas inoffensifs, que ce soit pour l’environnement ou la santé. C’est ce qu’indique leur communiqué qui veut pour preuve que « le point de départ de la polémique, en 2014, concernait un épandage de soufre à proximité d’une école de Villeneuve-de-Blaye, sur une exploitation conduite en agriculture biologique ».


Répandue dans les milieux professionnels, cette conclusion est vigoureusement démentie par le collectif de la marche blanche. Dans un communiqué, les antiphytos dénoncent ainsi des « rumeurs » et demandent un démenti immédiat de la FDSEA, en s’appuyant sur un document de l’Agence régionale de santé présenté par l’émission Spécial Investigation (Canal+) et dont nous présentons un aperçu à la fin de cet article. « Ce rapport ne parle pas de soufre mais de mancozèbe, méfénoxam et spiroxamine. Ces produits ont été identifiés par le centre antipoison et de toxico-vigilance du CHU de Bordeaux », a lancé ce 10 mars le vigneron Dominique Techer (Confédération Paysanne), lors d’une session animée de la chambre d’agriculture de Gironde.
Précisant que les malaises des écoliers coïncident avec la présence de ces molécules, il ajoute que « cela correspond exactement aux produits qui ont été épandus par l’exploitation conventionnelle voisine de l’école, à savoir Éperon Pépite (mancozèbe et méfénoxam) et Pepper (spiroxamine) ».
Dans ce jeu de communication partisane et de contre-exemples partiaux, comment faire la part des choses ? La Draaf expliquant qu’elle ne peut communiquer d’informations tant que la procédure judiciaire est en cours, l’impatience alimente les positions tranchées. Actuellement, seul le premier rapport d’enquête de la Draaf a « fuité ». Se fondant sur une enquête de terrain le lendemain de l’incident, elle ne s’est penchée que sur le domaine conventionnel voisin. Cette étude confirme bien la nature des produits utilisés et la concordance des horaires de traitements autour de l’école (du matin au début de l’après-midi), mais un connaisseur du dossier souligne que le cuivre et le souffre causent des symptômes identiques, ce que confirment les textes de précautions d’usage sur les paquets.
Au vu de l’orientation du vent (sud-est), la carte parcellaire laisse ouverte la possibilité d’une intoxication causée par un traitement conventionnel au sud de l’école. Avec une formulation très prudente, le rapport de la Draaf estime avoir des présomptions de mauvais traitements de la par de la propriété conventionnelle « sans pour autant disposer d’informations précises ». Faute de prélèvements au moment de l’incident, difficile de faire plus que des conjectures. D’autant que d’autres éléments accusent un traitement bio. Interrogé en octobre dernier par France 3, l’avocat de la Sepanso, François Ruffié, déclarait que « les gamins qui touchaient la clôture avaient les doigts bleus ». Ce qui rappelle la bouillie bordelaise, ou le sulfate de cuivre.
Faute d’accès au deuxième rapport d’enquête de la Draaf (réalisé sur le vignoble bio), il paraît actuellement difficile de trancher. Et il n’est pas sûr que le procès en cours y parvienne. Se focalisant sur l’accusation de dépassement de la limite de vitesse du vent, la procédure ne bénéficie pas de mesures prises sur place. D’après les cinq stations météo à proximité, une seule donne une vitesse en dessous du seuil réglementaire de 19 km/h (celle de Saint-Julien, à moins de 6 km/h, tandis que celles de Cussac-Fort-Médoc et Moulis-en-Médoc affichaient plus de 30 km/h).
Toujours irrésolue deux ans après les faits, cette énigme de Villeneuve dévoile les crispations entourant la question des phytos. Cantonnées pour l’instant en Gironde, ces crispations risquent d’essaimer dans le reste du vignoble avec le lancement d’une campagne de traitements particulièrement scrutée.
La première page et la conclusion du rapport de l'ARS sur l'incident de Villeneuve, tel que communiqués ce 11 mars par Générations Futures. L'ONG y voit la confirmation que des produits conventionnels sont responsables de l'incident du 5 mai 2014.