Pr. Alain Carbonneau
« Les cépages d’Alain Bouquet sont durablement résistants, ne les bloquons plus »

Figure de l’enseignement et de la recherche viticole mondiale, le professeur retraité somme les autorités de ne plus bloquer le transfert au vignoble de cépages montrant leur résistance.
Figure de l’enseignement et de la recherche viticole, le professeur retraité Alain Carbonneau est devenu le héraut des variétés résistantes à l’oïdium et au mildiou obtenues par son camarade Alain Bouquet (défunt chercheur à l’Institut National de la Recherche Agronomique). Pour ne pas dire le porte-parole de ses collègues de l’INRA Pech Rouge. « Ils accumulent les observations et dégustations en faveur de ces génotypes (baptisés rV5 et rV6*) » confie-t-il. « Et ils aimeraient répondre à la demande pressante de la profession. Mais l’INRA les bloque, qualifiant leurs résistances de monogéniques ».
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En biologie moléculaire, un caractère monogénique est porté par un seul gène. Dans le cas d’une résistance à un pathogène, cela la rend plus facilement contournable que s’il y avait l’expression conjointe de plusieurs gènes, ce qui est le cas d’une résistance polygénique. Sur les variétés d’Alain Bouquet, si la résistance au mildiou est bien assurée par deux gènes (Rpv1 et Rpv2), celle à l’oïdium est liée à un seul gène (Run1). L’INRA se montre donc inflexible, pour préserver ses gènes de résistance en ne les déployant pas au vignoble. L’objectif du programme Résistance Durable de l’INRA est ainsi d’obtenir des cépages à résistance monogénique pour le mildiou et l’oïdium (voir encadré).
Mais pour Alain Carbonneau, l’argument théorique de la résistance monogénique des rv5 et rV6 ne tient pas devant une décennie de pratique. Et « si le géniteur, Muscadinia rotundifolia, était monogénique, il y aurait de toute façon déjà eu contournement de sa résistance… » Un raisonnement qui n’a toujours pas convaincu les décideurs de l’INRA. Mais de nouvelles découvertes pourraient changer la donne, en attestant scientifiquement d’une résistance polygénique.
Le gène majeur Run1, complété par RGA4 et RGA8
Dans un article à paraître dans le numéro de février du Progrès Agricole et Viticole (dont il est le rédacteur en chef), Alain Carbonneau estime démontrer que la résistance des variétés d’Alain Bouquet est sans conteste polygénique. Il se base pour cela sur les dernières recherches d’Angela Feechan (cliquer ici pour accéder à l’étude), qui démontre que le gène Run1 « est épaulé par des gènes complémentaires, la combinaison de leurs effets dominant les capacités du parasite ».
Reposant sur des organismes génétiquement modifiés, ces expériences démontrent que pour être totale, la résistance à l’oïdium ne doit pas reposer sur le seul Run1. Expérimentalement, les individus, obtenus par transgénèse, avec le seul gène Run1 ne sont pas assurés d’être résistants à l’oïdium (mais ils sont tolérants). Identifiés, ces gènes complémentaires ont été baptisés RGA4 et RGA8. Les variétés d’Alain Bouquet ne sont donc pas monogéniques, conclut Alain Carbonneau.
Ayant tout juste informé instances dirigeantes de l’INRA de ces nouveaux éléments, Alain Carbonneau espère un rapide changement de paradigme. Car le vignoble français s’impatiente, d’autant plus que l’usage des produits phytopharmaceutiques en viticulture fait débat dans la société française. Le dernier conseil spécialisé de FranceAgriMer a ainsi adopté le projet d’arrêté permettant le classement accéléré au catalogue français de 25 cépages résistants allemands, italiens et suisses (déjà classés dans leurs pays).
« Il ne faut plus retenir nos variétés. J’ai honte de voir que dans les nouvelles variétés que les professionnels veulent inscrire, il n’y en a pas une française alors que notre recherche viticole a des propositions sur le sujet » regrette Alain Carbonneau, prédisant que « le catalogue français va se remplir de cépages résistants étrangers que les pépiniéristes vont multiplier et distribuer. Quand l’INRA arrivera, on sera en dehors du coup… A moins d’une variété miracle ! »
* : En pratique, il s’agit des cinq et sixièmes générations de rétrocroisement de Vitis vinifera à partir d'hybride de la variété américaine Muscadinia rotundifolia (les individus rV5 affichent un peu plus de 1 % du génome non-vinifera, les rV6 moins de 1 %).
Touchant juste, le dernier envoi d’Alain Carbonneau concerne les variétés Resdur : « il n’est pas sûr que le programme puisse répondre aux demandes en 2017. Les deuxièmes générations Resdur ont montré des signes rédhibitoires de phylloxéra gallicole et de black-rot en 2015… » Des difficultés techniques sur lesquelles il appuie d’autant plus que les variétés rV5 et rV6 présentent des qualités viticoles et œnologiques avérées. Un potentiel sensoriel dont le plus convaincu semble être Jacques Gravegeal, le président de l’Interprofession des vins IGP Pays d’Oc.